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LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

marchés tacites, mais irrécusables, en comptant les mille, les centaines et les dizaines sur les jointures des doigts, par-dessous les plis du manteau. Quand les deux parties sont d’accord, un serrement de main, un coup d’œil équivaut à une signature, et l’affaire est conclue sans que le voisin en ait pu surprendre le chiffre. Il y a loin de là au murmure de ruche d’une bourse européenne ; mais le nakoda croit de sa dignité de ne point harceler l’acheteur par des propositions souvent fallacieuses. Il le trompe autant qu’il peut, c’est la règle ; défiez-vous de lui comme il se défie de vous, et son regard l’indique assez : demandez-lui quand il part, il n’en sait rien, et le soir il a mis à la voile ; vous le croyez en pleine mer depuis une semaine, et il est encore dans la rade ; vous le savez arrivé, vous êtes averti qu’il est porteur d’une lettre à votre adresse, alors courez après lui ; il ne la perdra pas, il gardera le papier dans un pli de son turban jusqu’à ce que le hasard vous le fasse rencontrer dans un de ces groupes chers aux Orientaux, où chacun parle à son tour, où l’on boit le café de Moka avec délices en maudissant cette île de Bombay qu’une température capricieuse condamne à produire des dattiers qui ne portent pas de fruits.

Tous ces navigateurs visitent encore les ports de Cambaye, de cette contrée fameuse que Camoens dit être celle dont Porus était roi ; « pays plus puissant par son or et par ses pierreries, ajoute-t-il, que par la valeur de ses habitans. »

…podero
Mais d’ouro, e pedras, que de forte gente !

On les voit à Surate la riche, que le poète Wali comparait à un recueil de poésies choisies. « L’univers accourt, dit-il, pour voir la rivière Tapti qui baigne ses murs ; Surate doit à cette rivière son état florissant, et la Tapti doit à Surate sa célébrité… C’est sur sa rive qu’on voit ce château symétrique qui est comme un chaton à la bague du monde. Il y a des adorateurs du feu si instruits, que Nemrod, le fondateur du culte, prendrait d’eux d’utiles leçons. » Mais ce que Wali ne célèbre pas, et avec raison, c’est l’hôpital, où les Parsis nourrissent tous les êtres vivans, excepté l’homme, depuis le singe jusqu’à la punaise, jusqu’à la plus inqualifiable vermine. On les rencontre à Kalicut, dont le Zamorin eut la gloire de repousser le grand Albuquerque, dans la sanglante bataille où périt le maréchal Fernando de Coutinho, ville déchue comme toutes celles de la côte,