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franchir sans cesse les trois brisans qui déferlent devant Madras, ce ne sont pas des bateaux de cabotage ; mais elles ont cela de curieux dans leur construction, que, plus simples encore que la pirogue des Esquimaux, elles n’ont pas de membrures et ne consistent qu’en une épaisseur de planches cousues ensemble : par leur élasticité elles résistent à la furie des vagues, sur lesquelles on les voit bondir, lancées par dix ou douze longues rames à palettes, pour retomber dans un abîme où elles paraissent s’engloutir. Une pareille navigation ne se fait pas sans danger, et il est permis de croire que, dans des parages plus favorables, les parias, si habiles à manier leurs schellingues, eussent fait d’excellens matelots.

Toutefois, si la nature des lieux a empêché les Hindous, à l’est de la presqu’île, de progresser dans l’art de la navigation autant que ceux de la partie occidentale, les habitans du golfe de Bengale, stimulés par l’accroissement prodigieux du commerce de plus en plus concentré dans la capitale de l’Inde anglaise, ont voulu y prendre part. Sans avoir, comme les Arabes, de grands et beaux navires qui eussent été hors de proportion avec les petits voyages qu’ils entreprennent et le peu de bénéfice qu’ils peuvent faire, ils se sont mis à parcourir le golfe dans toute son étendue, de Ceylan à Calcutta, de Madras à Maulmein, au Pégou, avec des sloops, des goëlettes, des bricks d’un tonnage assez considérable. Parmi ces bâtimens appelés choulias ou parias, quelques-uns ont été construits sur le Gange, à Islamabad, dans les ports birmans ; ou bien ce sont de vieilles coques, des navires anglais abandonnés par suite d’un naufrage, pour cause de vétusté. Mais l’Hindou veut naviguer à peu de frais ; d’une main patiente il radoube, jusqu’à destruction entière, le brick dont il est devenu maître ; vous le verrez remettre pièce sur pièce, rajuster l’une à côté de l’autre des planches usées ; il se borne sagement à la plus simple voilure, et retranche comme inutiles les bonnettes, les cacatois, souvent même les perroquets, de peur d’être obligé d’augmenter son équipage ; bien entendu que les pilotes anglais ne sont pas pour lui, et il se tire comme il peut des dangers du golfe, soit en se fiant à sa propre expérience, soit en suivant à la trace quelque vaisseau européen. Soumis à la discipline anglaise, les lascars sont d’intelligens et intrépides matelots, rapides à la manœuvre, obéissant au sifflet du contre-maître avec une agilité surprenante ; les choulias appartiennent à la même race, mais, comme il leur manque cette impulsion, cette direction supérieure, ils sont timides et lents. Trop peu nombreux pour manier convenablement leurs