Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/601

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
595
LA SARDAIGNE.

haute antiquité, on croit reconnaître que la Sardaigne a commencé par être un champ de bataille où se heurtèrent les races les plus remuantes des temps primitifs. Les traditions conservées par les historiens grecs et latins, les monumens trouvés dans l’île et reconnus par la science moderne, constatent le passage des Pélasges, des Hellènes, des Grecs asiatiques, des Phéniciens, des Libyens, des Étrusques, des Ibères. Toutes ces bandes d’aventuriers sont balayées par un peuple doué d’une énergie supérieure. L’an 528 avant l’ère chrétienne, les Carthaginois s’emparent de la Sardaigne, dans le seul but d’en faire un point de relâche. Leur politique égoïste n’imagine rien de mieux, pour conserver cette conquête, que de la rendre inhabitable. Ils font détruire les arbres fruitiers, défendent sous peine de mort de planter à l’avenir, et sacrifient même, assure-t-on, les étrangers qui abordent dans cette nouvelle Tauride. Les anciens habitans n’échappent à cette fureur jalouse qu’en se retranchant dans les montagnes de l’intérieur. Après une possession d’un peu moins de trois siècles, les Carthaginois sont à leur tour délogés par les Romains. Ceux-ci, traitant avec une générosité éblouissante les populations du littoral, refoulant avec une énergie impitoyable les peuplades indomptées du centre, opposant sans cesse les alliés aux rebelles, commencent cet antagonisme d’intérêts qui a été la plaie toujours saignante de la Sardaigne. Le prestige de la civilisation triomphe enfin des instincts sauvages. Sous l’empire, l’île pacifiée atteint un haut degré de prospérité : sept villes riches et populeuses obtiennent les prérogatives attachées au titre de cités romaines. Associée ainsi aux grandeurs du peuple-roi, la Sardaigne doit plus tard partager la honte et les douleurs de la chute. Sans cesse envahie et disputée pendant la longue agonie des empires d’Orient et d’Occident, par les Vandales, par les Goths, par les Byzantins, par les mahométans, elle n’est plus, du Ve au XIe siècle, qu’un théâtre de dévastation et de désespoir.

En 1004, le pape Jean XVIII, abusé sans doute par des actes apocryphes, prétendit que la Sardaigne était comprise dans la donation au saint-siége par Charlemagne, et, faisant aux chevaliers chrétiens un appel qui semble le prélude des croisades, il promit la possession de l’île à quiconque la délivrerait du joug africain. Les Pisans et les Génois répondirent à cet appel, entraînés par leur instinct mercantile, il est permis de le croire, plutôt que par un sentiment chrétien et chevaleresque. Il fut convenu entre eux que les premiers garderaient le territoire, les autres le butin. Cet arrange-