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qu’ajouter de nouveaux germes de discorde par une intervention étrangère, qui ne pourrait réussir que par la crainte qu’elle inspirerait, et qui devrait être en quelque sorte d’une durée illimitée et très coûteuse.

Que l’on jette un regard vers le passé, et il sera facile de se convaincre que, de tous les états qui se sont successivement fondés par une civilisation progressive, aucun n’a trouvé le repos et la stabilité qu’après un temps plus ou moins long et des secousses violentes. Que l’on parcoure l’histoire de la Gaule depuis la chute de l’empire romain, et l’on verra combien de vicissitudes, de luttes, de transformations diverses, il faut éprouver ou subir, avant de parvenir à fonder un état vaste et fort, où puissent régner en même temps l’ordre, la justice et la liberté.

Dans cette partie de l’Amérique du Sud, lorsque les habitans de la campagne (c’est-à-dire les Américains) et ceux de la ville seront fatigués de la guerre et sentiront le besoin du repos, alors, mais seulement alors, il s’établira entre ces deux classes aujourd’hui rivales des rapports d’intérêts ; la confiance naîtra, et il sera permis d’espérer une paix fondée sur des bases durables.

Rade de Montévideo, 1er juillet 1843.

THÉÂTRES.

On reproche aux romanciers d’écrire des drames : pour nous, loin d’écarter les romanciers de la scène, nous voudrions les y rencontrer plus souvent. Sommes-nous donc si riches aujourd’hui en tentatives originales ? et le théâtre compte-t-il trop de forces littéraires ? Ce n’est pas d’ailleurs le théâtre seulement, c’est le romancier lui-même qui bien souvent gagnerait à multiplier de telles épreuves. Nous ne croyons pas que, pour les écrivains trop amoureux du paradoxe, pour les esprits trop emportés qui passent en courant à côté du naturel et du vrai, et vont s’égarer à la poursuite des effets inattendus et bizarres, il existe un meilleur régime hygiénique que le théâtre. Nulle part l’imagination n’est soumise à des exigences plus étroites, et le romancier qui du récit passe à l’action, de l’analyse au dialogue, ressemble à un homme dérangé qui se trace une règle de conduite. Or, n’en est-il des esprits comme des caractères, dont les uns, pour mieux se développer, ont besoin d’être plus libres, et les autres de l’être moins ? Si vous êtes capable d’écrire un roman comme Paul et Virginie, comme Adolphe ; si vous possédez cette sobriété féconde qui est le grand art de ne rien dire de trop et de ne rien omettre ; si vous connaissez d’instinct le secret chemin qui mène au cœur,