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la Providence. Saint Thomas avait dit : La Providence est la raison finale de l’ordre des choses. Vanini traite cela d’absurde. Vivès avait dit : C’est une volonté gouvernant tout avec sagesse. Vanini se moque de Vivès, et je le conçois, dans le système de la pure infinitude comme unique essence de la divinité, et il aboutit à cette définition de la Providence, où il n’y a plus ni raison, ni volonté, ni sagesse : « La Providence est la force divine toujours présente à elle-même et antérieure à tout le reste. » La force même est ici de trop, et cette définition si étroite est trop large encore.

Vanini prouve très bien, contre Aristote et Averroës, que le monde n’est pas éternel. « Le monde, dit-il, a un auteur ou il n’en a pas : s’il a un auteur, il n’est pas éternel, car rien de ce qui a été fait n’est contemporain de ce qui l’a fait. S’il n’a pas d’auteur, il a toujours été de lui-même mais il est ridicule de donner ce qui est fini comme le principe de l’être. Rien de ce qui est fini n’est premier : or le monde est quelque chose de fini, cela est manifeste ; il n’est donc pas de lui-même ; il n’est donc pas éternel[1]. » Vanini suit Averroës dans les détours de sa subtile dialectique, et à ses argumens alambiqués il oppose ceux d’Algazel, ou plutôt ceux qu’Algazel a reçus du chrétien J. Philopon.

Loin d’affaiblir les argumens des athées, Vanini les développe avec tant de force, qu’on y a vu le secret dessein de les faire prévaloir dans l’esprit de ses lecteurs ; mais ce n’est là qu’une conjecture. Si les réponses de Vanini ne sont pas tout ce qu’elles pourraient être aujourd’hui, il faut songer que nous sommes au XVIe siècle, hors de la scolastique, et avant la philosophie cartésienne.

Objection de Diagoras : « Si une Providence gouvernait le monde, chacun serait traité selon ses mérites, et une balance égale distribuerait les biens aux bons et les maux aux méchans. Mais comme les choses vont tout différemment, je ne vois pas dans le monde cette Providence dont on parle, et ne sais en quoi elle peut consister. » Les stoïciens niaient la mineure et soutenaient que l’homme vertueux est très heureux, et le méchant malheureux. Boëce reprend la thèse stoïcienne en la modifiant ; il place le bonheur et la misère des hommes vertueux et des méchans, non dans les biens et les maux sensibles, mais dans la vertu et dans le vice qui sont à eux-mêmes leur châtiment et leur récompense. Vanini combat tout cela, et même avec assez de vivacité, et il n’a pas l’air de faire grand cas

  1. Amphit., ex. IV, p. 15.