Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/726

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
720
REVUE DES DEUX MONDES.

pour si fort qu’on le veuille cacher, il arriva qu’estant souvente fois entré en dispute avec aucuns des plus grands théologiens de ceste ville, il fut descouvert pour tel qu’il estoit. Et quoique par ses paroles taschât à déguiser son desseing, sy est que, maugré lui, ceste petite artère qui va du cœur en la langue évapouroit ses plus secrètes pensées, et lui portoit du cœur en la bouche, et de la bouche aux oreilles des gens de bien, des paroles pleines de blasphême contre la Divinité : ce qui fut cause que, quoy que, lorsqu’il fut fait prisonnier, on ne l’eut trouvé saisi que d’une Bible non défendue, et de plusieurs siens escripts, qui ne marquoient que de questions de philosophie et de théologie ; sy est-ce toutefois que le parlement, adverty et très-asseuré de ses secrètes pensées et maximes damnables qu’il avoit tenues en particulier, très-pernicieuses pour les bonnes mœurs et pour la foy, le fit remettre, le cinquiesme dudit moys d’aoust, des prisons de la maison de ville en la conciergerie du palays, où il fut détenu jusqu’à ce qu’on eust trouvé preuves suffisantes pour le convaincre et lui parfaire son procès comme on fit : car le samedy, neuviesme du moys de février en suivant, la grand’chambre et la tournelle assemblées, fut donné arrest au rapport de M. de Catel, conseiller au parlement, par lequel il fut condamné… »

Ainsi, les mémoires de Malenfant et le procès-verbal de l’hôtel-de-ville s’accordent pour désigner le conseiller Catel comme celui qui conduisit toute cette affaire. Quel motif le poussait ? Leibnitz, qui se complaît aux plus petits détails comme aux plus hautes généralités, dit dans la Théodicée[1] que le procureur-général voulait chagriner le premier président, qui aimait Vanini et lui avait confié ses enfans pour leur enseigner la philosophie. Catel, il faut le dire, était un homme ardent, mais honnête et éclairé. Il est l’auteur d’une histoire estimée des comtes de Toulouse. Une tradition encore vivante attache à son nom l’honneur ou la honte de la condamnation de Vanini. Encore aujourd’hui, à Toulouse, au Capitole, dans la salle des Illustres, sous le buste de Catel, on lit ces mots gravés en lettres d’or sur un cartouche noir :

GUILELMUS CATEL.

.............
........Vel hoc uno
Memorandus quod, eo relatore,
Omnesque judices suam in sententiam
Trahente, Lucilius Vaninus, insignis atheus,
Flammis damnatus fuerit
[2].

  1. Théodicée, t. II, p. 365.
  2. Je dois la copie de cette inscription à M. de Lavergne, bien connu des lecteurs de cette Revue.