Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/733

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
727
LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

répand de Paris dans toutes les provinces, pénètre dans les ordres religieux eux-mêmes, les jésuites exceptés, ranime l’enseignement public, vivifie et élève les sciences et les lettres, met en honneur la modération, la droite raison et le bon goût, et, passant rapidement de la France dans tous les autres pays de l’Europe, y disperse peu à peu les débris de la philosophie du XVIe siècle, substitue à l’esprit de révolte une sage indépendance, une doctrine ferme et solide à des systèmes désordonnés, remplace en Angleterre Hobbes par Locke, en Italie Bruno et Vanini par Vico et Fardella, en Hollande une tradition pédantesque ou les rêveries solitaires de Spinoza par les judicieux enseignemens d’un de Vries et d’un Clauberg, et crée en Allemagne la philosophie en suscitant Leibnitz.

Que s’est-il donc passé ? Les conseils de Garasse et de Mersenne ont-ils été suivis ? A-t-on couvert la France d’échafauds pour soutenir la religion ébranlée, et chargé le bourreau de prouver l’existence de l’ame et celle de Dieu ? Nullement ; mais les temps étant venus, et l’œuvre du XVIe siècle accomplie, deux hommes ont paru qui ont clos le passé et commencé une ère nouvelle. Richelieu a fondé des séminaires où le clergé pût recevoir une instruction digne de sa haute mission ; le clergé, une fois éclairé lui-même, a répandu les lumières autour de lui, et ramené les esprits au respect et à la foi par de libres et fortes discussions, aussi fécondes que la violence avait été stérile ; heureux ascendant qui s’accroît sans cesse, jusqu’à ce que, sous la triste influence de Mme de Maintenon et des jésuites, le grand roi égaré mette le bras séculier à la place de la dialectique et de l’éloquence d’Arnauld et de Bossuet. La révocation de l’édit de Nantes marque le plus haut point et en même temps le déclin inévitable de l’autorité religieuse : elle jette dans les esprits le fondement d’une réaction légitime. Jusque-là la religion avait été d’autant plus puissante, qu’elle se montrait bienfaisante et modérée. À côté d’elle, Descartes avait créé une philosophie qui la servait sans en dépendre, et consacrait les droits de la raison sans entreprendre sur ceux de la foi. Descartes avait entrevu par un instinct sublime et admirablement résolu le problème de ce temps : ce problème était de donner une satisfaction nécessaire à l’esprit nouveau, et en même temps de rassurer les anciens pouvoirs légitimes. De là, dans le cartésianisme, deux faces différentes qu’on a toujours considérées séparément, et qu’il faut embrasser pour comprendre toute la grandeur du rôle de Descartes. D’abord il sépare la philosophie de la théologie ; dans les limites de la philosophie, il rejette toute autorité, celle de l’an-