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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/763

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MORALISTES DE LA FRANCE.

demeuré douze bonnes années ; et même je me souviens de lui avoir ouï dire qu’il avoit autrefois eu pour maître un certain professeur de rhétorique au collége de Navarre, nommé M. Belurgey, natif de Flavigny en Bourgogne, qu’il prisoit fort… » Or, ce professeur de rhétorique se vantait notoirement d’être de la religion de Lucrèce, de Pline, et des grands hommes de l’antiquité ; pour article unique de foi, on l’entendit alléguer souvent certain chœur de Sénèque dans la Troade : « Bref, ajoute Guy Patin, M. Naudé avoit été disciple d’un tel maître, » et il conclut en citant ce vers expressif du Mantouan que tous les biographes devraient méditer :

Qui viret in foliis venit a radicibus humor.

Cherchez bien, cette humeur et cette sève qui verdoie diversement dans le feuillage, elle provient de la racine.

Le XVIe siècle finissait d’hier quand Naudé naquit. On se figure difficilement ce que devait paraître cette féconde et forte époque aux yeux de ceux qui en sortaient, qui en héritaient, et pour qui elle était véritablement le dernier et grand siècle. Il faut voir comme Naudé s’en exprime en toute occasion ; les admirateurs du XVIIIe siècle n’en disaient pas plus à l’issue de leur âge fameux. Tant de découvertes successives et croissantes, canons, imprimerie, horloges, un continent nouveau, tout récemment l’économie des cieux cédant ses secrets aux observations d’un Ticho-Brahé et aux lunettes d’un Galilée, voilà ce que Naudé, jeune, avide de toute connaissance, eut d’abord à considérer, et il s’en exalte avec Bacon. On aime à l’entendre proclamer la félicité de notre dernier siècle, et on sourit en songeant que c’est celui même duquel nos littérateurs instruits d’il y a trente ans s’accordaient à parler comme d’une époque presque barbare. La ressource de l’humanité, en avançant, est de se débarrasser du bagage trop pesant et d’oublier : ainsi elle trouve moyen de se redonner par intervalles un peu de fraîcheur et une soif de nouveauté. Cardan, Pic de la Mirandole, Scaliger, ces colosses de science, ou, mieux, pour parler comme notre auteur, ces preux de pédanterie, aussi merveilleux et plus vrais que ceux de la Table-Ronde, étaient donc les maîtres familiers de Naudé et les rudes jouteurs auxquels avait affaire incessamment son adolescence. Quant à ceux qui avaient écrit en français, tels que Bodin, Charron et Montaigne, il n’y pouvait voir que ses compagnons de plaisir, tant c’était facilité de les aborder au prix des autres. Le XVIe siècle, on avait droit de le croire à l’immensité de l’inventaire, avait et possédait