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de ce temps-là. Je voudrais pouvoir donner idée du Mascurat à des lecteurs gens du monde, et j’en désespère. Dans ce style resté franc gaulois et gorgé de latin, il trouve moyen de tout fourrer, de tout dire ; je ne sais vraiment ce qu’on n’y trouverait pas. Il y a des tirades et enfilades de curiosités et de documens à tout propos, des kyrielles à la Rabelais, où le bibliographe se joue et met les séries de son catalogue en branle, ici sur tous les novateurs et faiseurs d’utopies (pag. 92 et 697), là sur les femmes savantes (p. 81), plus loin, sur les bibliothèques publiques (p. 242) ; ailleurs, sur tous les imprimeurs savans qui ont honoré la presse (p. 691) ; à un autre endroit, sur toutes les académies d’Italie (p. 139, 147), que sais-je[1] ? Pour qui aurait un traité à écrire sur l’un quelconque de ces sujets, le Mascurat fournirait tout aussitôt la matière d’une petite préface des plus érudites ; c’est une mine à fouiller ; c’est, pour parler le langage du lieu, une marmite immense d’où, en plongeant au hasard, l’on rapporte toujours quelque fin morceau.

La scène se passe au cabaret ; on y boit à même des pots, on y mange des harengs saurets, tout s’en ressent. On a remarqué que la plaisanterie d’une nation ressemble (règle générale) à son mets ou à sa boisson favorite. On n’a donc ici ni le pudding de Swift, ni le champagne ou le moka de Voltaire. Le Mascurat de Naudé, c’est une espèce de salmigondis épais et noir, un vrai fricot comme nos aïeux l’aimaient, où il y a bien du fin lard et des petits pois. On y lit (p. 231) une grande discussion sur la poésie macaronique ; ce livre est une espèce de macaronée aussi.

Au commencement du Mascurat il n’est pas huit heures et demie du matin (page 13) : les deux compagnons entrent au cabaret et s’at-

  1. Et encore (page 370) il enfile toutes sortes d’historiettes sur des réponses faites par bévue, et se moque en même temps de la rhétorique ; il y trouve son double compte d’enfileur de rogatons érudits et de moqueur des tours oratoires. — Il ne trouve pas moins son double compte de fureteur historique, et de défenseur du Mazarin, lorsqu’il se donne (page 266) le malin plaisir d’énumérer tous les profits et pots-de-vin de l’intègre Sully, lequel « tira trois cens mille livres pour la démission de sa charge des Finances et de la Bastille ; soixante mille pour celle de la Compagnie de la Reine-Mère ; cinquante mille pour celle de Surintendant des Bâtimens ; deux cens mille pour le Gouvernement de Poitou ; cent cinquante mille pour la charge de Grand-Voyer, et deux cens cinquante mille pour récompense ou plutôt courretage de beaucoup de bénéfices donnés à sa recommandation. » Et le fin Naudé part de là pour opposer le désintéressement du Mazarin ; mais il tenait encore plus, je le crains bien, à ce qu’il avait lâché en passant contre cette renommée populaire de Sully.