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REVUE. — CHRONIQUE.

Lucia, ne dût-on la considérer qu’au seul point de vue de la spéculation, ne vaut pas mieux à elle seule que deux opéras comme Dom Sébastien et Maria di Rohan.



THÉÂTRE-FRANÇAIS

M. Scribe continue à produire, sans que cette facilité surprenante, qui est la plus grande partie de son talent, en éprouve la moindre lassitude. Hier il versifiait un opéra, aujourd’hui il dialogue une comédie, le tout sans efforts, et avec les mêmes chances de réussite. C’est que M. Scribe a pour système de suivre le public plutôt que de lui commander, et de chercher à lui plaire en obéissant à ses goûts plutôt que de le dompter en lui imposant les siens. Habile autant que personne à nouer et à dénouer une intrigue, spirituel et délié dans le dialogue, vrai le plus souvent, sinon profond, dans la peinture des mœurs, il sait toujours se mettre au niveau de son auditoire, et calcule avec une rare précision tous ses effets. On pourrait dire qu’il a la vocation du succès. Sa nouvelle comédie, la Tutrice, doit prendre place parmi ces agréables croquis toujours bien reçus du public, pour lequel ils semblent écrits expressément, et qui occupent dans le répertoire si varié de l’auteur une place bien distincte à côté de ses productions plus sérieuses, Bertrand et Raton, l’Ambitieux et la Camaraderie.

Les deux premiers actes se passent dans une auberge d’Allemagne, à quelques lieues de Vienne. Un industriel, un de ces spéculateurs de notre temps qui mettraient le soleil en actions s’ils croyaient trouver des actionnaires, est descendu dans cet hôtel avec sa jeune fille, qui a nom Florette. M. Conrad annonce à Mlle Florette que M. Julien, son employé, le quitte pour aller chercher fortune ailleurs. La jeune fille aimait Julien, et son chagrin se comprend de reste. C’est le premier chagrin d’amour : je ne sais pas si celui-là est le plus vif et le plus profond ; assurément, c’est le plus sincère. — Survient M. le Comte Léopold de Vurzbourg, étourdi, prodigue, mauvais sujet, qui a appris la mort de son oncle le feld-maréchal, et qui arrive bon train, à grandes guides, pour venir recueillir une succession immense, dont il doit déjà une bonne part à de gracieux usuriers qui lui ont prêté, au denier vingt, par avancement d’hoirie.

Presque en même temps, une dame modestement vêtue, aux manières élégantes et simples, descend dans l’auberge, qui ressemble décidément, à ne pas s’y tromper, au terrain vague, rendez-vous si commode de tous les personnages du vieux théâtre. Léopold, pour jouer son rôle d’héritier opulent et faire impression sur la belle et jeune voyageuse, ne parle que de dépenses folles, de plaisirs ruineux, et s’attire de la part de la dame, qui d’abord