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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/852

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REVUE DES DEUX MONDES.

n’avait pas l’air d’écouter, la plus juste et la plus piquante leçon de morale sur l’emploi des richesses. Cette inconnue est bien la plus aimable prêcheuse qu’on puisse entendre. Mais l’entretien ne tarde pas à être troublé par un courrier, porteur de dépêches pour M. le comte. On a certes bien fait de ne pas perdre un moment, et d’expédier un postillon à franc étrier ; la nouvelle est importante : le testament a été ouvert, et le comte Léopold de Vurzbourg est complètement déshérité. La légataire universelle du feld-maréchal est une jeune chanoinesse du nom d’Amélie de Moldaw, qui n’était pas même sa parente éloignée. Le coup est terrible. Conrad, qui a une idée fixe, et qui veut, avant tout, placer ses actions industrielles, ne s’aperçoit pas du contre-temps, et prie la dame inconnue, comme il a prié Léopold, d’une façon fort comique, de lui souscrire quelques actions. La jeune voyageuse, sans se faire attendre, donne sa signature. — La chanoinesse Amélie de Moldaw ! dit M. Conrad. — Amélie de Moldaw ! s’écrie Léopold. — Et, lui lançant un regard furieux, il s’élance et disparaît. — Quel est donc ce jeune homme ? demande Amélie surprise. — C’est le comte Léopold de Vurzbourg, répond naïvement Conrad. — C’est Léopold de Vurzbourg ! Allez, courez ! empêchez à tout prix qu’il parte ! s’écrie la chanoinesse en poussant M. Conrad.

Ce premier acte est habilement conduit ; il a de jolis mots, de jolies scènes, des coups de pinceau assez fins. — Lorsque le second acte commence, l’attention est parfaitement éveillée. Le jeune comte n’est pas parti, et il se trouve en présence de Mlle de Moldaw, qui, noble et généreuse, a été héritière malgré elle, et ne veut être que la tutrice du neveu de son bienfaiteur. Et d’abord, elle veut payer ses dettes ; Léopold s’y oppose avec énergie, et il ne cède même pas lorsque les huissiers cernent la maison, et vont s’emparer de lui. Le cas était embarrassant pourtant, et la situation devenait orageuse ; une lettre de la célèbre danseuse Fridoline arrive à temps, Léopold retrouve son audace, et, par bravade, prend la résolution la plus extravagante, celle d’épouser la danseuse, qui, étant très riche, vient de lui offrir sa main, pour devenir comtesse, et pouvoir faire graver une couronne sur le panneau de ses voitures. Mais Amélie, qui a eu jusqu’ici du bon sens et de la bonté, va avoir de l’esprit. Au lieu de payer les dettes de Léopold, c’est elle maintenant qui le fait jeter en prison.

Deux ans se sont écoulés, et nous nous trouvons, au troisième acte, dans un château dépendant de la succession du feld-maréchal. M. Conrad, qui a placé enfin toutes ses actions, et qui est aujourd’hui très riche, parce que ses actionnaires ne le sont plus, plaide contre la chanoinesse de Moldaw, et il a choisi pour avocat le jeune fou des deux premiers actes, qui, ramené par le régime de la prison à des idées plus saines, s’est créé par son travail une position honorable. Léopold, apprenant de Conrad, avant d’avoir vu Amélie que la jeune chanoinesse est loin de mener une vie exemplaire, s’emporte et laisse, pour la première fois, voir assez clairement le fond de son cœur. Depuis quand le jeune comte de Vurzbourg est-il amoureux d’Amélie de