Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/902

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
896
REVUE DES DEUX MONDES.

sortit de son silence et adopta, presque unanimement, la cause du rappel. Une fois entré dans cette voie, il y marcha d’ailleurs avec une ardeur sans égale, et O’Connell ne parut plus guère en public qu’un ou deux évêques à ses côtés. Tous sans doute ne parlèrent pas avec autant de violence que le docteur Higgins, qui le premier déclara que, malgré les efforts d’une aristocratie corrompue, le clergé irlandais tout entier se dévouerait au rappel de l’union. « Si les ministres, dit-il, nous empêchent de prêcher le rappel en plein air et en plein jour, nous nous retirerons dans nos chapelles, et, suspendant toute autre instruction, nous apprendrons au peuple à maudire l’union. S’ils assiègent nos temples et mêlent leurs espions à notre troupeau, nous préparerons notre troupeau pour de telles circonstances ; et si, à cause de cela, ils nous envoient à l’échafaud, en mourant pour notre pays, nous léguerons nos griefs à nos successeurs. » On comprend quelle impression devait produire ce langage et quel parti O’Connell savait en tirer. « Que pouvez-vous craindre ? n’ai-je pas l’appui de votre saint clergé ? les prêtres consacrés de l’Irlande ne sont-ils pas à mes côtés pour sanctifier mes efforts par leurs bénédictions ? S’il s’agissait de violer une loi, de commettre un péché, est-ce que votre vénérable archevêque me donnerait ici la main ? » C’est ainsi que parlait O’Connell, et ce qu’il disait, la voix respectée du ministre de Dieu venait aussitôt le répéter et le consacrer.

Pendant ces six mois d’agitation, il n’y eut donc pas un sentiment élevé qui ne fût remué en Irlande, pas une plaie qui ne fût irritée, pas un intérêt qui ne fût exploité. S’il y a quelque chose de surprenant, ce n’est certes pas que l’Irlande ait répondu à tant d’appels, c’est bien plutôt que, sous l’influence d’excitations si vives et si diverses, elle ne se soit pas précipitée, comme en 1798, dans une sanglante insurrection. Mais le sort de lord Édouard Fitzgerald n’avait aucun attrait pour O’Connell, et il prêchait l’ordre avec autant d’ardeur que le rappel de l’union. « Si l’agitation reste légale et paisible, le rappel est certain. Il échappera infailliblement, si nous frappons le premier coup. Quiconque commet la moindre violence est donc l’ennemi du rappel et de son pays. » Et là-dessus ce peuple irrité, affamé, rentrait tranquillement dans sa pauvre cabane, le cœur plein de haine pour les Saxons, mais décidé à suivre en tout les conseils du libérateur. Un jour pourtant, dans la petite ville d’Ahascragh, les magistrats ayant fait détruire un arc-de-triomphe élevé en l’honneur d’O’Connell, il en résulta une rixe où quelques agens de police furent maltraités. C’était un péché bien excusable ; mais