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temps avant l’apparition de Zénon, Épicure s’était mis à la recherche du bonheur et de l’utile. Nous n’aurons garde de nous compromettre ici par l’éloge d’Épicure, dont se sont chargés d’ailleurs Gassendi, Molière et Bentham.

Que restait-il aux modernes, après d’aussi abondantes moissons dans le champ des idées ? Il faut rendre cette justice au génie moderne, qu’il a débuté par l’admiration des anciens. La révolte n’est venue qu’après l’enthousiasme. C’est à ces deux dispositions contradictoires que les modernes doivent leurs progrès.

Ils doivent aux anciens la connaissance des nombreux écueils où ceux-ci, en dépit de leur vigueur, ont fait naufrage, et la possibilité de poser les questions les plus difficiles d’une façon plus claire. Cette position plus avancée des problèmes n’en est pas encore la solution, mais elle y achemine les esprits. Voilà ces résultats meilleurs dont nous parlions : quant à l’originalité individuelle, il serait insensé d’en disputer la palme aux anciens. En effet, il a été donné à la Grèce d’identifier son génie avec la philosophie même de l’esprit humain, et de rester dans l’histoire l’immortelle patrie des idées.

En veut-on une preuve actuelle et flagrante ? De l’autre côté du Rhin, le plus grand évènement philosophique est le débat entre M. Schelling et l’école de Hegel. Or, dans ce débat, c’est l’esprit de Platon et l’esprit d’Aristote qui luttent ensemble. Platon s’est toujours proposé de rattacher ses opinions et ses principes aux croyances religieuses, aux traditions sacrées les plus antiques et les plus profondes. Il accepte ces croyances et ces traditions comme des faits supérieurs aux spéculations de l’esprit, et avec lesquels la raison humaine est heureuse de se trouver d’accord. Schelling est aujourd’hui dans les mêmes voies : lui aussi travaille à la concordance de son système avec les traditions et les croyances religieuses, et il incline à reconnaître dans la révélation chrétienne un fait primitif, fondamental et souverain, qu’il faut maintenir au-dessus de toute discussion. Après Platon, Aristote, tout en déclarant que l’ami de la philosophie est aussi celui des mythes, a élevé au-dessus de tous les faits une philosophie première, science des premiers principes, science de l’être, science de l’intelligence et de l’intelligible tout à la fois. Avec le système d’Aristote, tous les faits, quels qu’ils soient, trouvent leur explication dans l’entendement, puissance passive qui prend toutes les formes, reçoit toutes les idées, et ils trouvent leur raison dans l’intelligence absolue, activité créatrice qui pousse l’action jusqu’à la pensée de la pensée. Hegel a de nos jours reproduit