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MOUVEMENT DES PEUPLES SLAVES.

Kordecki montre ce que peut un cœur simple et grand. Il ne voulut en rien transiger avec le devoir ; ce fut là sa force. Son courage humble et calme n’a rien d’humain : la foi en a le secret. De toute une grande nation abattue Kordecki était seul resté debout. La Providence épuisa en vain contre lui toutes les tentations. Soldats, nobles, jeunes moines l’abandonnent ; il ne lui restait que quelques vieillards : Kordecki demeura inébranlable sur son rocher, tenant haut déployée la bannière de la patrie, le cœur rassuré, le regard élevé au ciel. Il évoqua par un exemple héroïque l’esprit national, et de son ame rayonna un enthousiasme qui anima ses compagnons, troubla les ennemis, se répandit au loin, et électrisa enfin toute la Pologne.

Il s’écoule encore, après ces guerres, un siècle de facile bonheur et de relâchement. La Pologne finit par tomber au dernier degré d’abaissement. C’est un chaos de partis, de luttes, de petites révolutions qui croisent leurs désordres. L’ambition divise les grandes familles. La Prusse, la France, la Russie, intriguent. Stanislas n’est que l’amant faible et joué de Catherine : en réalité, c’est elle qui règne à Varsovie. Son insolent ambassadeur, Repnin, affiche son mépris pour un peuple humilié. Les soldats russes occupent les villes, cernent les diètes de leurs baïonnettes, saisissent les citoyens les plus courageux, et les déportent en Sibérie. Jamais plus fière nation ne fut plus outragée. La Pologne frémissait de colère, mais l’anarchie paralysait ses forces. L’excès de la honte fit enfin éclater l’indignation et le désespoir. Quelques généreux citoyens se confédérèrent. Ils n’étaient qu’une poignée, sans canons, sans forteresse, sans discipline. Ils ne calculent pas ce qu’ils peuvent, ils ne pensent qu’au devoir, et ils forment le projet d’écraser les Russes. Cette fois encore des prêtres sont à la tête du mouvement. Les évêques de Cracovie et de Kamienski le préparent. Le père Marc, que le peuple vénérait comme un saint, vient à Bar bénir les confédérés, et prêche le soulèvement dans la province. La Pologne entière fut émue. Partout il se formait des associations armées. C’étaient des corps de deux, trois, quatre cents cavaliers, qui parcouraient les vastes plaines de la Pologne, de Kiew jusqu’en Prusse, de la Baltique à la mer Noire. Les Russes tenaient les villes et les forteresses ; leur centre d’opération était à Varsovie. Ils pouvaient ainsi facilement couper les communications, attaquer les partis détachés, et suivre un plan régulier. Leurs cruautés furent affreuses ; ils brûlèrent des milliers de villages, et les populations, sans abri, erraient misérablement dans les campagnes. Mais cette conduite ne fit qu’exaspérer les victimes. Les confédérés, harcelés sur tous les points, ne cessaient de se renforcer. Les hommes allaient les joindre dans les forêts, les dames envoyaient leurs bijoux aux sultanes pour les intéresser à la cause de la Pologne. Les héros de la confédération faisaient des prodiges de valeur. L’histoire de cette guerre semble un roman épique plein d’aventures extraordinaires et d’incroyables prouesses. Pulawski, le plus brave des confédérés, montra la plus téméraire audace. On le craignait si fort qu’on lui offrit l’amnistie, et qu’on lui promit même de retirer les troupes