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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/986

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REVUE DES DEUX MONDES.

russes de la Pologne. Il répondit qu’il irait alors les chercher à Saint-Pétersbourg. Il finit par être pris dans une rencontre où, les siens lui criant de se retirer, il se jeta seul sur l’ennemi. Un autre confédéré, Beniowski, pris aussi dans un combat, envoyé à l’extrémité de la Sibérie, se conjura avec les déportés, chassa la garnison, força les pauvres Kamtschadales à jurer fidélité à la Pologne, et défendit six mois sa conquête contre les régimens russes. Obligé enfin de céder au nombre, il se jette sur un mauvais navire avec ses compagnons, cherche le passage du Nord, et navigue avec bonheur sur ces mers inconnues. Repoussé par les glaces, il revient vers le midi, découvre plusieurs îles, aborde au Japon, à Formose, aux Grandes-Indes, trouve une frégate, arrive en France, donne au gouvernement des nouvelles des confédérés, le sollicite en leur faveur, et dépose les archives du Kamtschatka à Paris, où elles se trouvent encore. Elles contenaient un projet d’invasion de la Chine par les Russes, et on envoya cette pièce à Pékin.

L’Europe entière commençait à s’intéresser aux confédérés ; l’incendie qu’ils avaient allumé se propageait au loin. Les Tartares et les Turcs furent entraînés à la guerre, la Grèce s’agitait, tout l’Orient était en feu. La Pologne montrait ce que l’amour exalté de la patrie peut faire de miracles. Mais la pensée d’indépendance et l’enthousiasme qui l’inspiraient menaçaient la politique des états voisins. Le gouvernement militaire de la Prusse, le despotisme du tsar, la police de l’Autriche, avaient à craindre le périlleux exemple que donnait la république. Frédéric comprit le danger ; il communiqua ses inquiétudes à Marie-Thérèse, et ils conçurent avec Catherine l’idée de démembrer la Pologne. On sait comment leur projet s’accomplit ; cent mille Autrichiens et Prussiens cernèrent ce malheureux pays. Après des combats meurtriers, on délogea les confédérés de leurs positions, et l’on finit par donner ordre de poursuivre et juger comme des brigands ceux qui gardaient les armes. Ainsi s’acheva le plus grand crime de l’histoire moderne. La Prusse, que la Pologne avait épargnée sous les Jagellons, l’Autriche, que Sobieski avait sauvée devant Vienne, se réunirent à la Russie pour accabler un peuple généreux qui avait été leur bienfaiteur, et elles l’assassinèrent lâchement. Ce n’était pas seulement une riche dépouille qu’elles avaient convoitée ; elles avaient voulu éteindre le vaste foyer de liberté qui brillait au centre de l’Europe absolutiste ; elles espéraient tuer la Pologne corps et ame. Cette héroïque nation essaya de se relever, mais ce fut en vain ; toutes les fois son martyre recommença plus cruel. Voici bientôt un siècle qu’il dure, et cependant la Pologne n’a pas cessé d’espérer.

IV. — ÉPOQUE NAPOLÉONIENNE.

La révolution française et Napoléon ouvrent aux Slaves comme une ère nouvelle. Alors pour la première fois, ces peuples entrent en relation étroite avec l’Occident, sortent de leurs limites, et se promènent en armes d’un bout