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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/996

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génie, multiplièrent les preuves de leur commune origine, et surent éveiller par ces recherches l’enthousiasme pour une race qu’ils voyaient humiliée, persécutée, et qu’ils aimaient avec une sorte de religion. Il s’est formé ainsi à Prague une école dont l’importance grandit chaque jour, et dont les travaux sont autant de plaidoyers déguisés pour l’union slave.

Ces idées n’auraient cependant pas atteint et ému les masses, si elles étaient demeurées à l’état de doctrine savante. Le démembrement de la Pologne fit plus pour les populariser que les publications des antiquaires bohêmes. Quand les Slaves de l’Autriche se rencontrèrent sous les mêmes drapeaux avec des soldats polonais, ils furent étonnés de comprendre leur langue ; depuis longtemps, ils avaient presque oublié, dans la diversité des destinées, les peuples dont les Krapaks les séparent ; ils se souvinrent alors de ces frères avec lesquels ils avaient des rapports plus naturels qu’avec l’empire d’Allemagne. Cette pensée devait porter ses fruits. Le partage de la Pologne eut un autre résultat bien inattendu. Les nombreux Polonais exilés en Russie s’aperçurent que les Russes souffraient comme eux de l’autocratie, et rien ne rapproche autant qu’une même infortune. La Sibérie aussi fut le témoin de cette réconciliation. Des milliers de gentilshommes polonais y ont été déportés depuis le commencement des guerres de Catherine et de Stanislas. Ces mornes déserts, patrie de la douleur, voient une grande œuvre se préparer dans les larmes et le mystère. Là, Russe et Polonais se pardonnent ; victimes du même despotisme, ils ne forment plus qu’une seule nation, qui s’appelle la nation malheureuse ; ils s’assistent et se consolent, et quand l’un d’eux quitte cet affreux exil, ses compagnons le fêtent, et lui font dans leur pauvreté quelque cadeau pour le voyage. Ce sont là des souvenirs qui ne se perdent pas. Russe et Polonais de retour savent qu’ils ne sont pas nécessairement ennemis, et que le pouvoir qui les frappe tous les deux est aussi celui qui les a fait se haïr.

Ce fut en 1825 que ces sentimens se firent jour pour la première fois. Des Russes et des Polonais conspirèrent ensemble pour renverser l’autocratie. Ils avaient encore un autre projet ; car on trouva parmi les objets saisis un énorme cachet aux armes des douze peuples slaves. À cette vue, les juges éclatèrent de rire, tant l’idée leur parut chimérique ; depuis lors elle a fait des progrès qui forcent à la prendre au sérieux. Des hommes éminens la partagent. Des sociétés secrètes s’organisent pour la propager. Elle se répand toujours plus. Entre les peuples slaves les ressentimens diminuent, la sympathie croît. L’intérêt dirige aussi leurs pensées vers l’union, qui leur offrirait les plus grands avantages. Ils ne peuvent s’empêcher de voir que s’ils joignaient un jour leurs forces, s’ils réussissaient à se confédérer, ils formeraient le premier empire d’Europe.

Deux obstacles empêchaient jusqu’à présent les peuples slaves d’y songer : ils n’avaient pas de relation entre eux, vivaient séparés, et s’ignoraient mutuellement ; mais les communications sont maintenant faciles et fréquentes. Les Slaves du midi et du nord, de l’orient et de l’occident, sont sans doute