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MOUVEMENT DES PEUPLES SLAVES.

devenus très divers ; toutefois, en se visitant, ils ne peuvent manquer de reconnaître à mille signes leur parenté ; la race, la langue, le caractère, les mœurs, les rapprochent et les distinguent profondément des peuples qui les entourent, ou qui sont enclavés au milieu. Puis les influences et les dominations étrangères que les Slaves subissent encore les ont divisés en camps hostiles ; aujourd’hui elles s’affaiblissent, et ils retournent à leur propre génie. La vie commune qui les animait avant tous ces esclavages se rallume, ils marchent à la fois à l’unité et à une rénovation sociale.

L’idée de l’union slave grandira, car elle est fondée sur la nature des choses ; elle n’est donc point un piége de la Russie pour attirer l’Europe orientale sous sa domination. L’empereur de Russie voit la puissance de ce mouvement et cherche à le détourner à son profit. Il décore les savans bohêmes ; il promet aux Slaves l’unité sous sa protection ; il ourdit mille intrigues, et ses agens sont infatigables. Les Slaves ne se laisseront pas abuser. Ils n’ont pas de plus terrible ennemi que les tsars ; leur nationalité ou l’autocratie doit périr ; elles sont irréconciliables ; l’une est nécessairement la ruine de l’autre. Les Slaves sont agités par une sourde et profonde émotion populaire, dont l’instinct déjouera des artifices de cabinet.

Les Slaves se distinguent par la cordialité, la bonhomie, l’hospitalité ; ils ont le génie de la musique et de la poésie ; ils aiment la magnificence, les fêtes et les repas ; leur ame est chaleureuse et enthousiaste. Aucun peuple n’a autant l’esprit de fraternité ; ils se sont toujours salués du nom de frères, et n’ont pas même de mot dans leur langue pour désigner une caste. Un profond mysticisme s’allie chez eux au génie politique. Ce mysticisme ressemble bien peu à celui de l’Allemagne ou de l’Inde ; il n’a rien de rêveur ni de contemplatif ; il prescrit le dévouement, il est mâle et tendre ; il ne dédaigne point la terre, il cherche à la conquérir à la pensée divine ; il voit dans la patrie une sainte institution, il inspire pour elle une fervente piété ; il forme des citoyens, non des anachorètes, et il est fait pour les assemblées publiques plutôt que pour les extases du désert. Le premier besoin des Slaves est celui d’un gouvernement humain et sympathique. Le despotisme n’est pas uniquement pour eux le pouvoir arbitraire d’un seul ; c’est tout gouvernement sans amour, quelles qu’en soient du reste les formes.

Les peuples de l’Occident arrivent à la même pensée : les principes chrétiens de justice et de fraternité ont fini par s’imposer aux esprits et par devenir la raison universelle. On s’est alors aperçu qu’ils ne sont pas réalisés dans la société. Le malaise durera autant que la contradiction ; le repos nous sera refusé jusqu’à ce qu’elle soit effacée. Ce moment était inévitable. Une religion, sous peine d’abdiquer, prétend à l’empire absolu. Comme Dieu, elle est tout ou rien. L’Évangile n’était jusqu’ici qu’une loi privée, il doit devenir loi publique ; il fait effort pour régénérer l’état, après avoir régénéré la famille. Ce qui se passe dans le secret des consciences et sur la scène politique, l’essor de l’industrie aussi bien que la crise religieuse, le scepticisme qui désaffectionne des choses anciennes, et les pressentimens unanimes, tout