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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

de contingent, comme on dit dans l’école. Le beau, c’est ce qui convient à une époque donnée ; la forme la plus belle, le plus beau tableau, le plus beau poème, c’est celui qui représente le plus fidèlement les idées d’une époque et qui les sert avec le plus d’énergie. Ainsi, point de beau absolu, point d’esthétique universelle. Wienbarg va jusqu’au bout de son principe. Ce qui a été beau dans le moyen-âge ne l’est plus dans le monde moderne ; ce que j’ai raison d’admirer aujourd’hui deviendra laid demain. Il applique à l’art, mais sans ironie, ce que Pascal dit de la morale : — Passez le Rhin, franchissez les monts, voilà toutes les règles changées et les jugemens tout à refaire ; si Raphaël traverse l’Adriatique, ses œuvres adorées n’ont plus de sens. — Assurément il faut tenir compte des différences produites par l’esprit de chaque temps, et on n’a jamais nié que le caractère d’un peuple, en marquant de son empreinte ce qu’il y a d’universel dans la beauté véritable, n’ajoutât un charme nouveau et comme une distinction particulière à des œuvres qui sont belles pour tous les temps et pour tous les pays. Le mérite absolu des œuvres de l’art, et le caractère distinct qui en marque l’origine et la date, voilà certainement de quoi se composent les chefs-d’œuvre, et c’est précisément cette union qui constitue la beauté. Mais le génie idéaliste de l’Allemagne a toujours été porté à sacrifier la partie nationale de l’art à son caractère absolu et universel ; et M. Wienbarg, qui s’est donné pour mission d’arracher la muse germanique à ses contemplations oisives, à son dédain des choses d’ici-bas, se rejette volontiers dans un excès tout différent ; oui, l’originalité de son livre est surtout dans l’erreur contraire qu’il professe énergiquement, dans cette négation du caractère absolu de la beauté, dans cette importance exclusive qu’il accorde à la valeur polémique des œuvres de l’esprit. Encore une fois, ce n’est pas une théorie sans reproche qu’il faut chercher dans le livre du jeune écrivain : c’est le programme d’une révolution ; or, on ne pouvait attaquer la question avec une fermeté plus décisive et séparer plus nettement l’ancienne Allemagne et la nouvelle.

Après avoir cherché dans l’histoire une confirmation de sa thèse et montré avec beaucoup d’esprit et de vivacité comment chaque époque avait toujours produit une forme particulière et parfaitement appropriée à ses desseins, M. Wienbarg est conduit à proclamer celle qui convient aujourd’hui à l’Allemagne, la beauté qu’il désire pour la littérature nouvelle, les triomphes qu’elle doit ambitionner. C’est là, on le voit, la partie importante de son programme. Quelle est donc l’arme qu’il donnera à son disciple ? car, nous l’avons dit, le beau pour lui