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un traité philosophique, une étude calme et désintéressée des questions de l’art ; n’y cherchez pas une solution à ces problèmes qui ont préoccupé Hegel et Jouffroy. L’auteur est trop ému pour entreprendre cette tâche avec la gravité et la circonspection nécessaires. Il veut ouvrir une route nouvelle aux imaginations de son pays, à toutes les ambitions littéraires. C’est une œuvre de polémique. Il étudie l’état des esprits et des lettres, il signale les maux qu’il aperçoit, il cherche aussi les réactions que ces fautes ont provoquées déjà, il les met en lumière, il les vante, et montre à tous les jeunes esprits les réductions d’une révolte poétique. Son livre a cela de curieux qu’il indique à merveille ce qu’il y avait de légitime dans cette levée de boucliers, et qu’en nous révélant ce qu’on s’était promis, il nous permet de juger plus sûrement les résultats. Louis Wienbarg attaque les universités avec la verve et l’âpreté des universités elles-mêmes, des jeunes universités du XVIe siècle attaquant la scholastique et la barbarie monacale. Ce contraste, qu’il remarque bien, l’irrite davantage encore, en lui rappelant combien les choses sont changées, combien ces universités, dépositaires autrefois des libres idées et de la science vivante, arrêtent aujourd’hui l’essor de la pensée et le mouvement de la vie. Cette même plume que Reuchlin et Ulric de Hutten armaient avec tant de verve et de colère contre les inepties de la scholastique expirante, Wienbarg s’en sert contre Goettingue ou Iéna. De plus, c’est un homme du nord, il est né aux bords de la mer Baltique, il a toute la vigueur indomptée de ces Germains des côtes septentrionales. Ce n’est pas lui que les montagnes du Necker, les vignes du Palatinat, les ruines féodales de la Souabe ou de la Franconie, porteraient à la rêverie capricieuse des poètes de Heilbronn ou de Ludwigsbourg. « J’aime assez Uhland, dit-il quelque part, comme j’aime un blond Allemand du sud né au milieu des montagnes, des vignes en fleurs, des châteaux en ruines ; mais je ne l’aime que par instans, à de certaines heures. » Il vient en effet prêcher une poésie toute différente, et au moment où l’imagination allemande cherche à quitter les régions trop élevées pour se mêler aux souffrances des hommes, à leurs luttes, à leurs ambitions, il est bien que ce soit un homme du nord qui recommande l’action et la lutte à cette Allemagne méridionale si facile à endormir, si prompte à se bercer de mille songes.

Au lieu de faire de l’esthétique une science absolue, ainsi que l’avait essayé Hegel quelques années auparavant, au lieu de ramener toutes les formes du beau à ces lois éternelles que cherche la philosophie, Wienbarg déclarait résolument qu’il n’y a rien là que de variable et