Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1044

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1040
REVUE DES DEUX MONDES.

un mois seulement qu’il a été jugé. Malade, souffrant, il est resté cinq ans dans son cachot ou gardé dans sa chambre par des gendarmes. Sa femme se mourait, ses enfans aussi : rien n’y a fait, on ne voulait point le juger. Il est condamné aujourd’hui ; pourquoi ? Pour avoir eu connaissance d’un complot qu’il n’a pas révélé. Quel est ce complot ? On n’en sait rien. Les débats, comme toujours, ont été secrets ; l’accusé lui-même ignore le plus souvent le crime qui lui est imputé. Ces procédures monstrueuses ont enfin provoqué d’énergiques réclamations, et un homme considérable, un des jurisconsultes les plus distingués de l’Allemagne, un professeur de l’université de Heidelberg, l’ancien président de la chambre des députés du duché de Bade, M. Mittermaier, a écrit à ce sujet une consultation digne de son esprit supérieur et de la noblesse de son caractère.

La publicité des tribunaux, et, dans l’ordre des choses purement politiques, une loi sur la liberté de la presse, les constitutions promises en 1813, voilà ce que les publicistes, les jurisconsultes, les universités, doivent demander sans paix ni trêve. La Prusse n’a pas osé condamner M. le docteur Jacoby et son livre des Quatre Questions, qui contenait un programme légitime et raisonnable. Quant aux écrivains qui, comme M. Edgar Bauer, raillent les efforts de l’opposition constitutionnelle en Prusse et dans le duché de Bade, et voudraient du premier coup bouleverser toute l’Allemagne, ils ne comprennent ni la situation de leur pays ni le travail qui l’agite. Qu’une opposition modérée, intelligente, se constitue avec fermeté, ce sera un progrès fécond ; et, je le répète, si les universités voulaient s’emparer de ces idées nouvelles, si elles voulaient se rajeunir et régénérer la science inutile qui a excité une répulsion si vive ; si, dans les lettres, dans la philosophie, dans les sciences morales et politiques, elles voulaient représenter le mouvement des esprits, elles pourraient jouer un rôle efficace et diriger puissamment les idées. Que si, au contraire, ce mouvement était abandonné ou à ces écrivains frivoles ou à ces pédans irrités dont nous venons de suivre la double tentative, tout serait perdu ; l’Allemagne n’acquerrait point cet esprit de conduite, ces fermes qualités qu’elle convoite, et elle perdrait l’idéalisme qui a fait sa grandeur ; enfin, les épreuves nouvelles qui auraient pu renouveler ses forces, au lieu d’être pour elle une heureuse et éclatante occasion, lui deviendraient un piége funeste où périrait ce qu’il y a de meilleur dans son génie.


Saint-René TAillandier.