Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1046

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1042
REVUE DES DEUX MONDES.

daient le fond des vallées, semée de marais et de tourbières, couverte de forêts impénétrables, et habitée par une race d’hommes que l’invasion n’avait jamais pu saisir ni dompter. Les soldats du conquérant, effrayés des périls sans gloire que leur promettait cette expédition, s’étaient mutinés avant le départ. Pendant la marche, Guillaume mit souvent pied à terre, et paya de sa personne dans ces rudes fatigues pour encourager son armée[1].

Cette région inconnue, inaccessible, c’était la partie méridionale du Lancashire, que sillonnent aujourd’hui tant de routes, de canaux et de chemins de fer, cette population indomptée, c’était la même qui a fondé depuis et qui a développé, avec une admirable audace, la puissance du système manufacturier. Par une destinée tout-à-fait providentielle, les accidens du sol et du climat, qui avaient élevé autant d’obstacles à la conquête, devaient être, sept cents ans plus tard, les véhicules de l’industrie. Le travail devait soumettre ces agens naturels, et faire servir d’élémens à la production l’indépendance des caractères aussi bien que l’énergie des moteurs.

Il n’y a peut-être pas un coin de terre où la nature ait accumulé avec la même profusion tous les instrumens du travail. Voyez la Normandie ; elle abonde en moteurs hydrauliques, mais elle manque à la fois de fer et de charbon. Notre Flandre industrielle est assise sur de larges couches de houille, et de nombreux canaux lui donnent la facilité ainsi que le bon marché des transports ; mais c’est un pays bas, sans chutes d’eau et placé loin des grands centres de consommation. L’Alsace a le génie de l’industrie comme celui de la guerre ; mais ces heureuses dispositions s’y trouvent aux prises avec les circonstances les plus défavorables, avec la cherté du combustible et avec l’éloignement des débouchés ainsi que des ports d’approvisionnement. Même division des avantages naturels en Suisse et en Belgique : Zurich est à cent lieues de la houille, à deux cents des ports qui reçoivent la matière première et qui expédient les produits manufacturés ; Gand, le siége le plus ancien de la population industrielle dans l’Occident, se voit à une distance égale des cours d’eau rapides, des gîtes métallurgiques et des mines de charbon.

Mais dans cet espace de quinze à seize lieues carrées, qui est compris entre l’embouchure de la Ribble et celle de la Mersey, rien ne manque de ce que la nature et l’homme peuvent fournir[2]. La

  1. Past and present State of Lancashire, by H. Ashworth.
  2. « Le district où ces avantages se trouvent combinés de la manière la plus