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mières de ce royaume ; mais une difficulté encore plus formidable se présenta. Les commandes que nous recevions, et qui étaient considérables, furent tout à coup contremandées, les employés de l’excise, refusant de laisser passer nos tissus au tarif ordinaire de trois pence par yard, et exigeant un droit additionnel de trois pence, parce qu’on les considérait comme des calicots, bien que fabriqués en Angleterre. En outre, les calicots imprimés se trouvaient prohibés. Grace à ces obstacles imprévus, une grande quantité de calicots s’accumula dans nos magasins. On s’adressa vainement aux commissaires de l’excise, et les propriétaires n’eurent plus d’autre parti à prendre que de saisir la législature, qui leur donna gain de cause après des dépenses considérables et malgré la vive opposition que les manufacturiers du Lancashire avaient dirigée contre eux. »

À quelques années de là, les mêmes fabricans, instruits par l’expérience, disputaient à cet homme qui n’était plus le barbier de Preston, mais que l’Angleterre saluait sous le nom de sir Richard Arkwright, la propriété ainsi que l’usage des inventions qui l’avaient enrichi, et la force des choses fixait dans le Lancashire une manufacture que la folie des hommes en avait d’abord exilée.

Dans toute lutte entre un homme et une population, l’individu doit nécessairement succomber. Les gens de Manchester l’emportèrent donc sur Arkwright. Après quinze années de privilége, et par suite d’un double procès, les inventions dont il était l’auteur tombèrent dans le domaine public. L’équité le voulait ainsi : les hommes de génie sont le produit de leur pays et de leur temps aussi bien que de leurs propres efforts, et ce n’est pas pour leur avantage exclusif que la Providence les a dotés de ces facultés splendides dont elle se sert pour donner l’impulsion au progrès des sociétés. Cependant on peut déplorer l’ingratitude de l’opinion publique à l’égard d’Arkwright. Il ne fut ni aimé ni honoré dans le comté de Lancastre, et pour s’en venger il suscita la concurrence du comté de Lanark, disant, par allusion à son premier état, « qu’il trouverait un rasoir en Écosse pour faire la barbe à Manchester. »

La rivalité s’établit en effet ; mais il est permis de croire que l’intervention d’Arkwright ne fit qu’accélérer le cours naturel des choses. Glasgow n’avait pas pris moins de part que Manchester à la révolution industrielle. Le comté de Lanark avait produit Watt et Adam Smith ; pendant que le comté de Lancastre enfantait Hargreaves, Crompton et Arkwright, c’est-à-dire que, celui-ci fournissant l’action, celui-là