Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1088

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1084
REVUE DES DEUX MONDES.

du couteau. Maintenant, cette manière de comprendre le rôle répond-elle davantage aux conditions de la musique ? Franchement, nous ne le croyons pas. La musique de Rossini, comme la pièce de Beaumarchais, dont tout l’esprit semble avoir passé en elle, vit exclusivement d’entrain, de verve, de brio, et n’a que faire de couleur locale. À ce compte, le personnage de Pellegrini conviendrait mieux ; mais ce personnage était si usé, si rebattu, nous l’avions tant vu se reproduire à satiété, qu’un peu d’innovation, même en blessant certaines convenances, ne pouvait manquer de réussir. Que Ronconi ait tort ou raison aux yeux de la critique et du sens commun, il n’importe : tout le monde à cette heure lui sait gré d’une tentative qui devait avoir son excuse dans son originalité même, et, disons-le aussi, dans son succès.

Les reprises d’Otello et des Puritains ont aussi très vivement ému le public du Théâtre-Italien. Otello nous a rendu la Grisi dans Desdemona, et les souvenirs de Mme Viardot n’ont fait qu’exalter l’empressement du monde dilettante à venir saluer la belle cantatrice. Quant à M. de Candia, tragédien remarquable dans le More, il s’est élevé à des effets d’un pathétique extrême dans le rôle d’Arturo, et ses progrès de cette année ont établi définitivement sa position sur ce terrain de Rubini, si difficile à conquérir et qu’il tient désormais avec tant de zèle et de dévouement. — Nous ne quitterons pas le Théâtre-Italien sans dire un mot de Salvi, chanteur de mérite que l’administration semble vouloir étouffer à plaisir. Salvi, qu’on engageait, il y a dix mois, pour briller au premier rang, se trouve, par un de ces reviremens d’humeur auxquels nous sommes tous sujets, mais dont les directeurs de spectacle abusent trop souvent, se trouve, disons-nous, contraint à faire aujourd’hui la plus triste figure qui se puisse imaginer : celle d’un chanteur qui ne chante pas. S’il est un rôle qu’il aime, on le lui ôte ; s’il en est un qui lui répugne, on le lui donne. À quoi Salvi répond par une résignation angélique, se réservant toutefois de ne point partager la conviction qu’on veut à toute force lui communiquer, à savoir qu’il déplaît au public et doit se retirer. Les rôles les plus ingrats les plus nuls du répertoire, il les accepte, et pour toute vengeance il se contente, en homme d’esprit, de les relever par son talent, ainsi qu’il vient de faire dans Otello pour ce personnage de Rodrigue si parfaitement ridicule au temps de Bordogni, et sur lequel il sait attirer l’intérêt.

Le Cagliostro de M. Adam, que l’Opéra-Comique vient de représenter, est une de ces partitions écrites en conscience, où les idées n’abondent guère. À ce sujet, je remarquerai que chez nous le soin du détail a pour cause assez ordinaire je ne sais quelle pauvreté de fonds qu’on s’efforce de déguiser. Les deux élémens essentiels de toute musique sérieuse, la mélodie et l’instrumentation, au lieu d’aller ensemble et de se combiner à souhait pour l’harmonie de l’œuvre, paraissent le plus souvent s’exclure et procéder isolément. Ainsi, quand vous voyez dès les premières mesures l’orchestre tourner à la science, dites-vous : Bon, aujourd’hui les idées n’afflueront pas ; de même que, s’il arrive au début que le maître soit en belle humeur de chanter, l’instrumentation pourra bien en souffrir. Cette fois encore M. Adam n’a pas