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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

L’église ne pouvait rester étrangère à la mêlée philosophique de notre temps. Intervenir était pour elle un devoir et un droit : quel a été son rôle ? En 1830 elle fut ébranlée par un mouvement qui semblait correspondre au mouvement de la société civile ; M. de Lamennais en était l’ame et le chef. L’Avenir en fut pendant quelque temps la tribune retentissante ; mais M. de Lamennais ne tarda point à dépasser le but. Il avait un instant entraîné l’église, puis il s’en sépara brusquement, et, ainsi privé de l’homme qui faisait sa force et son espérance, le clergé se rejeta avec une sorte d’effroi dans une orthodoxie immobile, de peur de tomber dans des erreurs nouvelles. Les prêtres qui depuis ont posé le pied dans la science n’ont marché qu’en tremblant, comme on marche au bord d’un abîme, et, les yeux fixés sur leur guide, l’innocente Philosophie de Lyon. Les uns, comme M. Gerbet, après avoir fait, dans la sphère des vérités religieuses, la part très distincte de la raison et de la foi, se sont contredits eux-mêmes en s’emportant contre le rationalisme ; d’autres, comme MM. de Salmis et de Scorbiac, ont borné leur ambition et leur gloire à éditer un manuel à l’usage du collége de Juilly. Il en est de même de M. Rattier, professeur à Pont-Levoy, qui, dans son Cours complet de Philosophie, n’a donné qu’un traité élémentaire raisonnable, terne et très hostile aux philosophes. Parmi les soixante-dix ouvrages de philosophie qui se publient chaque année, terme moyen, c’est à peine s’il en est deux ou trois qui appartiennent au clergé, et, depuis deux ans, le catalogue des ouvrages philosophiques de l’église se borne à peu près au Panthéisme de M. Maret et à l’Histoire de l’Éclectisme alexandrin, de M. l’abbé Prat. Le plus grand mérite du livre de M. Maret est dans les formes bienveillantes de sa polémique. Quant à l’Éclectisme alexandrin de M. l’abbé Prat, c’est tout simplement une attaque déguisée contre l’éclectisme moderne. En effet, pendant long-temps, quand on avait besoin d’argumens pour combattre M. Cousin, on les empruntait à M. Pierre Leroux, sans s’inquiéter de son panthéisme, de sa métempsycose, de ses facéties contre les prêtres qu’il traite de parias et d’éducateurs noirs. Plus tard on a tenté de combattre avec des armes personnelles ; mais par prudence, en jetant l’anathème sur l’éclectisme, au lieu de s’en prendre à M. Cousin, on s’est adressé à Julien l’Apostat et à Simon le Magicien. Ce n’est point là la méthode de la science, mais tout simplement la tactique du pamphlet. Les Institutions philosophiques de M. Bouvier, évêque du Mans, bien que traduites en chinois pour l’usage des missions et adoptées dans un grand nombre de séminaires, ne sauraient, sous aucun rapport, être acceptées comme une œuvre de science. Par la barbarie du latin, les formes d’exposition, ce livre nous rejette parfois au plus profond du moyen-âge ; M. Bouvier semble se détourner à dessein des grands problèmes agités par la pensée moderne, pour s’arrêter, comme les docteurs du XVe siècle, à des questions de vaine curiosité (c’est le mot de l’église) sur la nature plus ou moins corporelle des anges, leurs formes et leur langage, la méchanceté des démons, leurs ruses, et les faux miracles qu’ils opèrent à l’aide des possédés.