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Sous la fronde, nous aurions une ample moisson à faire de beautés et de graces d’un ordre bien différent. Viendraient alors les grandes dames avec les intrigues de cour, leurs amours légères, leurs dures pénitences, leur style négligé et de haut parage ; à côté de Condé, Mme de Longueville, la grande Mademoiselle et la Princesse Palatine ; à côté de Retz, Mme de Chevreuse ; avec Rancé Mme de Montbazon, et l’orgueilleuse Guémenée avec l’infortuné de Thou[1].

Avançons encore, voilà le siècle de Louis XIV. C’en est fait de la mâle vigueur du temps de Richelieu, c’en est fait de la libre allure de la fronde ; Louis XIV a mis à l’ordre du jour la politesse, la dignité tempérée par le bon goût. Heureux les génies qui auront été trempés dans la vigueur et dans la liberté de l’âge précédent, et qui auront assez vécu pour recevoir leur dernière perfection des mains de la politesse nouvelle ! C’est le privilége de Mme de Sévigné, comme de Molière et de Bossuet. Mme de Sévigné serait la reine de cette galerie. Il y aurait une place aussi pour Mme de Grignan, et à cause de sa mère, et à cause de son père Descartes, et pour elle-même, qui joignait à une ame noble, plus hardie que celle de la prudente marquise, une raison libre et ferme, un esprit original et un style accompli dans sa sobre gravité. Il serait bien difficile de ne pas admettre Mme de Rambouillet et la fameuse Julie. Je ne vois guère le moyen de séparer Mlle Paulet de Voiture[2] et la duchesse de Mazarin, la brillante et folle Hortense, de son vieux cavalier servant, Saint-Évremond.

Voyez comme déjà le siècle en avançant décline, mais qu’il est beau encore avec Mlle de la Vallière, devenue Louise de la Miséricorde ! Nous en pourrions donner plus d’une lettre inédite où se révèle une ame charmante. Son heureuse et superbe rivale, Mme de Montespan, figurerait avec sa docte sœur, Mme de Rochechouart, abbesse de Fontevrault, qui traduisait le Banquet, y compris le discours d’Alcibiade, et avec sa nièce, la spirituelle et belle marquise de Castries, que Huet surprit un jour lisant en cachette le Criton. Nous emprunterions à M. Sainte-Beuve quelques-unes de ses pages les plus délicates sur Mme de La Fayette, en lui demandant la permission d’être un peu plus sévère que lui sur La Rochefoucauld[3]. Puis viendrait ce génie

  1. C’est à Mme de Guémenée qu’avant de monter sur l’échafaud, de Thou écrivit le billet qui se lit à la suite de la Relation de Fontrailles, dans l’édition de MM. Michaud et Poujoulat.
  2. Sur Mme Paulet, voyer les Mémoires, il est vrai souvent menteurs, de Tallemant des Réaux.
  3. La Bruyère et La Rochefoucauld, madame de