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LA CONTREFAÇON BELGE.

exemple a mis fin aux argumens vulgaires dont les contrefacteurs se sont fait un rempart vis-à-vis de l’opinion du monde, et a préparé l’étranger à leur refuser un asile, la contrefaçon, repoussée par la Belgique, ne saura bientôt où poser le pied en Europe ? De sorte que l’adoption large et franche du principe de l’abolition aurait un triple résultat : elle donnerait à la France un langage plus élevé dans les négociations ; elle ferait disparaître des difficultés pratiques qui ont arrêté la discussion des traités particuliers ; elle hâterait le moment où le but serait complètement atteint.

Il est inutile d’insister sur les avantages matériels que la France retirerait de la conclusion de cette grande affaire : on connaît la triste situation de l’industrie qui repose en France sur les œuvres de l’esprit ; mais il est un intérêt moral qui pourrait être lésé en dernière analyse, si l’on n’y prenait garde, et c’est sur ce côté de la question que nous croyons nécessaire de diriger maintenant l’attention de nos lecteurs Il ne suffit pas que la librairie française possède enfin, avec les marchés étrangers que la contrefaçon belge lui a fermés, ceux qu’elle lui aura ouverts, pour que la France ait à se féliciter d’avoir mis un terme à une grande iniquité. Cette industrie doit être en mesure de les exploiter tous, non pas à son propre profit, mais selon les exigences du rang supérieur dont une littérature essentiellement universelle tient sans doute à ne pas descendre. Il pourrait arriver que la clientelle commerciale de la librairie, quoique considérablement accrue, ne parvint pas à embrasser toute la clientelle intellectuelle que l’existence de la contrefaçon a faite à cette littérature. C’est là un résultat auquel le gouvernement regretterait plus tard d’avoir participé. La France exerce en effet sur le monde une influence souveraine qu’elle doit à la puissance civilisatrice de ses idées bien plus qu’à l’empire de sa force et de sa richesse. Il ne faudrait pas que l’Europe perdît l’habitude de communier avec sa pensée, et que le plus précieux de ses intérêts nationaux périclitât entre les mains d’une industrie qui n’en comprendrait pas l’importance ou la subordonnerait à ses combinaisons de marchand. La France doit vouloir autre chose que sa librairie, autre chose que ceux de ses écrivains qui préféreraient le lucre à la gloire. Le gouvernement aurait manqué au premier de ses devoirs, si, en obtenant de l’étranger une grande faveur pour la librairie, il avait contribué à amoindrir dans un avenir prochain l’influence intellectuelle, c’est-à-dire politique en même temps que sociale, de la nation qu’il personnifie ; si en Belgique, en Allemagne, en Italie, trois peuples où les idées françaises se feraient un chemin malgré la crainte qu’on a de leur prépondérance, le public lisait moins les livres qui les leur transmettent, était en communication moins suivie, moins intime avec la littérature vivante qui, malgré ses défauts, est toujours en définitive l’expression des sentimens et du génie de la France nouvelle. Le chiffre de l’exportation de la librairie aurait beau satisfaire alors l’œil d’un statisticien, quelques auteurs plus avides de gain que de renommée auraient beau se réjouir de l’accroissement de leur revenu : est-ce que la nationalité