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Mais d’abord serait-ce un canal ordinaire qu’il y faudrait ? quelle serait même la nature de la communication à ouvrir ? Devrait-on rester fidèle à l’idée d’un canal, ou conviendrait-il d’adopter ces voies perfectionnées où la vapeur fait glisser sur le fer, avec une rapidité inouïe et une économie toujours croissante, les plus pesans fardeaux ? Si l’on préfère un canal, quelles devront en être les proportions ? Afin de répondre pertinemment à ces questions, il faut d’abord s’interroger sur le but dans lequel on percerait l’isthme.

Les services à attendre d’un canal au travers de l’isthme de Panama ne sont pas tout-à-fait les mêmes pour les Européens ou pour les peuples de l’Amérique. Pour l’Europe, il n’abrégerait pas le voyage de la Chine ou des Grandes-Indes, et encore moins celui des îles de la Sonde, où la Hollande possède d’admirables colonies, et où l’on doit supposer que d’autres peuples, alléchés par les succès des Néerlandais, ne tarderont pas a en fonder de nouvelles. La navigation d’Europe en Chine et aux Indes se fait par le cap de Bonne-Espérance, et il semble que, s’il y a un isthme à trancher pour abréger ce long pèlerinage, ce soit celui de Suez. Règle générale, les voyages qu’on raccourcirait en perçant l’isthme de Panama sont, avant tout, ceux qui ont lieu en doublant le cap Horn, extrémité de l’Amérique méridionale. Or, l’on passe par le cap Horn pour aller d’Europe au Pérou, sur la côte occidentale du Mexique, ou dans les possessions attenantes des États-Unis, de l’Angleterre et même de la Russie. C’est par le cap Horn qu’on se rend dans certains parages de l’Australie, dans la Nouvelle-Zélande, aux îles Marquises, aux îles de la Société, à ces innombrables archipels de la mer du Sud, qui appellent des maîtres, aux îles Sandwich, que convoite plus d’une puissance maritime, parce qu’elles occupent entre l’occident de l’Amérique du Nord et les régions de la Chine et du Japon une position comparable à celle de Malte entre l’Espagne, la France, l’Italie d’un côté, et les rivages du Nil de l’autre. Pour activer les relations de l’Europe avec ces vastes pays, pour que les essaims de nos races aillent les féconder, la rupture de l’isthme de Panama serait extrêmement avantageuse.

À l’égard de la Chine et du Japon, à ne considérer que les distances, il n’y aurait, disons-nous, aucun profit à en espérer. Le tour du monde étant représenté par 360 degrés de longitude, la Chine, en prenant le chemin de Panama, est à 230 degrés de nous, c’est-à-dire aux deux tiers de la circonférence terrestre ; par l’autre route, au contraire, abstraction faite du grand circuit que l’on décrit autour de l’Afrique