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REVUE DES DEUX MONDES.

eut lieu au Théâtre-Français le 19 août 1789. On jouait ce soir-là pour la première fois une méchante tragédie de Fontanelle, la Vestale, qui ne fut pas sifflée, parce que l’auteur avait mis des religieuses sur la scène, et que la police avait long-temps interdit la représentation. Dans les entr’actes, il tomba de quelques loges une pluie de billets et de placards imprimés[1]. Il y en avait de plusieurs sortes. En voici un qui par hasard a échappé à la destruction. Je le transcris sur l’original même :

ADRESSE AUX BONS PATRIOTES.

Français, le Théâtre de la Nation a été livré assez long-temps à des ouvrages infestés de fadeurs et de servitude. La burlesque autorité des censeurs avait abâtardi le génie des poètes dramatiques ; vos pièces nationales surtout n’offrent que des modèles d’esclavage. Il existe une tragédie vraiment politique, vraiment patriotique ; elle est reçue à la Comédie-Française, elle a pour titre Charles IX, ou la Saint-Barthélemy. L’auteur est M. de Chénier. Cet ouvrage inspire la haine du fanatisme, du despotisme, de l’aristocratie et des guerres civiles. Les ennemis de M. Necker, ce grand ministre, ce sauveur de la France, craignent la ressemblance qu’on trouverait infailliblement entre lui et le chancelier de l’hôpital, l’un des personnages de la pièce. Les comédiens n’osent la représenter en ce moment. Si vous croyez un tel sujet digne de vous occuper au théâtre dans les premiers jours de la liberté française, ce n’est plus aux gentilshommes de la chambre qu’il appartient de leur donner des ordres, c’est à vous.

Du Croisi.

On a le ton du temps, on reconnaît le style de Chénier. Ce Du Croisi, employé obscur d’un ministère, n’était ici qu’un prête-nom. La distribution d’adresses avait préparé la salle. Après la pièce de Fontanelle, le silence se fit comme par enchantement, et un anonyme, dit Grimm, se leva pour demander aux acteurs d’une voix de stentor pourquoi ils ne jouaient pas Charles IX. Un long dialogue s’établit alors entre l’orateur et le comédien Fleury. Fleury déclara qu’on n’avait pas « la permission. » Aussitôt la salle, comme un seul homme, cria avec trépignement qu’il ne fallait plus de permission. La Comédie promit qu’elle

  1. On trouvera dans la Revue rétrospective (IIIe série, tome III) une foule de pièces originales, relatives aux querelles de toute espèce que suscita Charles IX. Le carton 181 des archives de la Comédie-Française fournit aussi quelques données nouvelles. Enfin il faut recourir, mais sans trop de confiance, au premier volume des Souvenirs de la Terreur, par M. George Duval : c’est la salle vue, sinon des loges, du moins du parterre.