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on sait que la cause la plus puissante d’insalubrité en ces chaudes régions réside dans les marécages et les eaux stagnantes. Il serait facile, très probablement, pendant la construction du canal d’assécher les marais et d’assurer l’écoulement des eaux d’alentour. Le canal lui-même y servirait. Ce seraient deux opérations liées.

Après ces réflexions préliminaires, entrons plus avant dans le sujet. Au préalable, pourtant, il n’est pas inutile de donner une idée des difficultés que l’art est accoutumé à affronter et à vaincre, et de déterminer exactement le sens de quelques termes techniques dont nous serons obligé fréquemment de nous servir.

Les canaux, tels qu’on les construit depuis l’invention des écluses par les Italiens au XVe siècle, sont des lignes de navigation fort différentes des rivières. Toute rivière coule dans un lit légèrement en pente, et a un courant plus ou moins fort. C’est ainsi que les anciens s’efforçaient de creuser des canaux, et ils réussissaient rarement dans cette imitation de la nature. Un canal à la moderne n’a pas de courant, et se forme d’une série de bassins creusés de main d’homme, plus ou moins longs, quelquefois de plusieurs lieues, et étagés à la suite les uns des autres, chacun parfaitement de niveau. On dirait d’un escalier aux marches très étroites entre la rampe et le mur, mais fort longues, tandis qu’une rivière peut se comparer à un plan incliné extrêmement doux. Dans une rivière, l’eau coule à des hauteurs très variables, selon les saisons ; dans un canal, elle est introduite artificiellement, tout juste en quantité suffisante pour qu’il y en ait toujours une même profondeur déterminée d’avance. À ces dispositions, on trouve l’avantage non-seulement de s’affranchir des courans, mais encore d’obtenir, au moyen d’une quantité d’eau à peine égale à celle que roule un faible ruisseau, une navigation plus permanente et plus commode que celle qu’offrent de grands fleuves. La navigation du canal du Midi, par exemple, est préférable à celle de la Seine, du moins dans l’état où ce beau fleuve est laissé. Cependant la Seine débite, quand elle est au plus bas, après les chaleurs de la canicule, 100 à 120 mètres cubes (100,000 à 120,000 litres) par seconde. Le canal du Midi n’en dépense pas la centième partie. Un mètre cube par seconde suffit à tous ses besoins.

Faire un canal de niveau d’une seule pièce, d’une extrémité à l’autre, est impossible dans la plupart des cas[1]. Un canal se com-

  1. Le canal hollandais du Nord est pourtant ainsi ; mais la Hollande est un pays exceptionnellement nivelé par la nature.