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les voir sans me rappeler les cages dorées suspendues aux voûtes des églises à Lima.

Grace à l’extraordinaire variété des sites, le paysage change d’un village à l’autre ; au sortir des plantations coupées de distance en distance par des collines, par des ravins, par des cours d’eau habilement ménagés, on aperçoit Saint-Pierre, la troisième ville de la colonie. Ce qui la distingue des autres, c’est une apparence de port ; l’embouchure de la rivière d’Abord abrite les caboteurs de la côte durant la saison dangereuse. Ces caboteurs sont en petit nombre, car on porte à peine à cent le nombre des marins appartenant au pays, et cela s’explique. Les navires, n’étant pas plus exposés autour de l’île que dans les deux rades, s’en vont eux-mêmes de quartier en quartier chercher leur chargement : alors le cabotage est à peu près supprimé. Les sucres cueillis dans la banlieue richement cultivée, sont emmagasinés dans de vastes hangars le long du quai ; de beaux attelages de mules amènent leurs lourdes charges par des routes pleines de poussière, mais bien entretenues. Saint-Pierre est un canton opulent, joyeux, qui paraît avoir moins souffert que les autres des mauvaises récoltes et de spéculations hasardées. Depuis le bord de la mer jusqu’à une ligne de montagnes d’un bleu foncé, nettement découpées dans un ciel magnifique, c’est-à-dire sur l’espace de plusieurs lieues, s’étendent de belles plantations arrosées avec soin. Il s’échappe du flanc de ces roches azurées des ruisseaux d’une limpidité extrême et assez puissans pour être employés comme moteurs dans les usines. L’eau, conduite par des canaux faits de planches, suspendus parfois à de grandes hauteurs, tombe sur la roue démesurée qui met en mouvement les cylindres destinés à broyer les cannes. Dans toute la partie sous le vent, moins abondante en rivières, on a su utiliser les plus petits ruisseaux ; aussi de toutes parts entend-on murmurer l’eau qui bondit dans les fossés, comme si elle était heureuse de courir à son gré, après avoir servi aux besoins de l’homme.

Appuyée comme Saint-Denis sur un ravin profond creusé verticalement par la rivière d’Abord, décorée d’une place carrée où la garnison s’exerce à l’ombre des arbres verts, coupée de rues régulières, de jardins, la ville de Saint-Pierre se pavane le long de sa plage de sable et de galets ; elle est assise là comme la capitale de la région des sucres qui s’étend depuis la fin des Brûlés jusqu’aux caféteries de Saint-Leu. Quand on a dépassé Saint-Louis, hameau charmant à cause des ruisseaux qui coulent à pleins bords de chaque côté de la rue, aussi frais, grace à leur rapidité, que le soleil est brûlant, on ne tarde