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LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE.

que l’érudition poursuit son œuvre avec ardeur, voici non point une œuvre d’érudition, mais une étude purement littéraire sur l’historien de saint Louis. Du moins, cette modeste étude repose sur une base plus certaine que la découverte, hélas ! controversée. En effet, que le cœur de saint Louis soit ou ne soit pas enfoui sous les dalles de la Sainte-Chapelle, assurément il respire dans les récits de Joinville.

Si l’on faisait l’histoire de notre ancienne littérature par province, celles qui tiendraient le premier rang seraient la Normandie et la Champagne. Les ducs de Normandie accordèrent aux poètes la faveur qui rappelait le goût de leurs aïeux pour les scaldes scandinaves. Grace à la conquête de Guillaume, sur l’une et l’autre rive de la Manche, le dialecte normand devint la langue littéraire. De là, au XIIe et XIIIe siècles, cette foule de poètes normands et anglo-normands, parmi lesquels figure en première ligne maître Wace de Jersey. Les comtes de Champagne furent aussi des princes puissans et amis des lettres. L’un d’eux, Thibaut VI, a laissé dans les annales de notre poésie un nom d’une célébrité populaire ; d’autres trouvères champenois, tels que Quenes-de-Béthune[1], auraient peut-être encore mieux mérité cet honneur. Enfin, les deux plus anciens auteurs de mémoires, les deux historiens des croisades, Villehardouin et Joinville, naquirent en Champagne. Ce serait, s’il était besoin de la faire, une victorieuse réponse à un dicton ridicule que l’esprit charmant de La Fontaine, héritier à quelque égard de la vieille veine gauloise des conteurs et des trouvères champenois, suffit à réfuter.

Il était naturel que la vie littéraire se développât autour des principaux centres de la vie féodale. La Normandie, aventureuse et conquérante, où s’étaient conservés peut-être quelques restes des anciennes habitudes poétiques des rois de la mer, la Normandie fut le berceau de la poésie française. La poésie française apparaît pour la première fois à la bataille d’Hastings ; là, par la bouche d’un ménestrel guerrier, qui porte le nom de Taillefer et semble de la famille des scaldes belliqueux qui chantaient aussi en combattant, elle entonne la chanson héroïque de Ronceveaux. La Champagne, pays de commerce où les célèbres foires de Troyes attiraient les marchandises de l’Orient, où se montrèrent de bonne heure les instincts positifs de la démocratie, où un épicier écrivait, au XIVe siècle, que, s’il n’y avait point de gentilshommes, le monde vivrait en paix ; la Champagne, terre comparativement prosaïque, produisit la prose française, qui date de Villehar-

  1. Voy. M. P. Paris, Romancero français, p. 77 et suiv.