Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
465
DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

la gravité, la correction, la méthode des prédicateurs de l’ordre des jésuites auquel il appartient. Tandis qu’on entrevoit avec M. Lacordaire comme un ordre nouveau d’idées qui cherche confusément à se développer dans le catholicisme, M. de Ravignan au contraire, soumis aux règles inflexibles de la tradition, représente tout un passé qui lutte et se raidit contre l’esprit des temps nouveaux. Par l’austérité des manières, l’attitude ascétique, le recueillement, M. de Ravignan a quelque chose d’un saint. Ses prédications agissent sur les femmes beaucoup plus vivement que sur les hommes, peut-être parce que cette empreinte de sainteté qui se révèle dans toute sa personne, et les nobles ardeurs de sa charité, parlent à l’imagination plus vivement que sa logique ne parle à l’esprit. M. de Ravignan a surtout de la méthode ; aucune vue originale ou profonde ne le distingue : son argumentation, quoique serrée, pèche souvent par la base, et ses subtilités dans la discussion de points fondamentaux du dogme, qu’il veut toujours approfondir et expliquer, ont même alarmé quelques catholiques, qui ont formulé des plaintes à ce sujet. Quand il attaque le scepticisme ou l’hérésie par la preuve historique ou le fait humain, M. de Ravignan est vraiment remarquable ; loin de récuser la raison, il invoque sans cesse son témoignage dans la démonstration des vérités religieuses, et en se plaçant à ce point de vue, il a prêché dans le même carême le contraire de ce que prêchait M. Bautain, car M. Bautain n’est pas seulement professeur de philosophie à Strasbourg, directeur du collége de Juilly, orateur au Cercle catholique, il est aussi prédicateur, et, sans y regarder bien long-temps, on pourrait, dans ses sermons, retrouver parfois ce souffle mystico-sceptique qui a passé sur ses livres, comme on y retrouverait quelques comparaisons médicales qui rappellent ses analyses physiologiques.

Si l’on comparait, si l’on soumettait à l’examen les sermons des différens prédicateurs de Paris, pour ne parler que de cette ville, on aurait souvent occasion de s’étonner des contradictions qui s’y rencontrent ; l’orthodoxie elle-même pourrait s’effrayer ; la philosophie, si elle était hostile, trouverait aisément plus d’un sujet de polémique, et si elle osait se défendre autrement que par d’humbles protestations, ne serait-elle pas en droit de justifier sa liberté par la liberté de la chaire, et de demander au moins l’accord et l’unité à l’enseignement qui a pour base le principe de foi et d’obéissance ? Du reste, si les prédicateurs contemporains ne nous rendent ni Massillon ni Bourdaloue, s’ils restent même inférieurs à MM. Frayssinous ou de Boulogne, il faut reconnaître que leur activité est vraiment infatigable, et quelques-uns d’entre eux rappellent ces évêques régionnaires des premiers temps de l’église, dont la vie était pour ainsi dire la parole en action. Nous citerons surtout, parmi les plus fervens missionnaires, MM. Dufêtre, vicaire-général de Tours et de Bordeaux, de Forbin-Janson, évêque de Nancy, Bourrel et Guyon. C’est en général à Lyon, dans la maison dite des Chartreux, que se sont formés la plupart des orateurs chrétiens contemporains. Sous la restauration, le ministère de la chaire était un acheminement vers l’épiscopat ; aujourd’hui, les évê-