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d’un autre siècle ou d’un pays étranger : ils sont également étonnés de l’inutilité des connaissances qu’ils ont acquises, et de la nécessité de celles qu’ils n’ont pas. Dans la plupart des séminaires, on ne trouve pas même de cours d’éloquence sacrée : les plus distingués des prédicateurs contemporains ont fait ailleurs leur éducation oratoire. Ainsi M. Lacordaire est sorti du barreau, et M. de Ravignan du parquet. Lorsque les prêtres entrent dans la vie active, les soins de leur ministère les enlèvent à l’étude, et souvent au lieu de cultiver la science, ils l’attaquent, faute de la connaître. Enfin, comme dernière preuve de cette sorte d’engourdissement intellectuel, il suffit de comparer les questions qui ont occupé, agité l’ancienne église, et celles qui l’agitent aujourd’hui. Dans le passé, elle combat pour des idées ; le jansénisme lui-même touche, par la grace, aux plus hauts problèmes de la destinée humaine : l’église est encore dans le mystère et l’infini. Aujourd’hui, elle combat pour son influence politique, pour des passions. En présence de cette situation, supposons donc un instant que le gouvernement du pays soit livré au parti catholique : comment sortirait-il de cette tâche difficile ? comment pourrait-il espérer d’asseoir et de régler les élémens divers qui travaillent la société ? De quelles mains partirait cette direction supérieure, de quel centre partirait cette unité, sans laquelle un gouvernement est impossible ? Supposons que l’enseignement de la jeunesse française soit livré au clergé ; trouverait-il dans son sein des maîtres à la hauteur de leurs fonctions ? Il donnerait l’instruction religieuse ; mais donnerait-il l’instruction scientifique ? serait-il même en mesure de donner l’instruction littéraire ?

Quoi qu’il en soit de ce chaos, de ces ambitions toutes mondaines, de ces colères, de cette inquiétude, nous sommes loin de penser, comme le disent les protestans, que le catholicisme est ébranlé par sa base et que, si les esprits éclairés de notre époque ont abjuré à son égard l’hostilité du XVIIIe siècle, ce n’est là qu’un symptôme d’indifférence ; il faut voir dans ce respect autre chose que le sentiment impartial de la justice qui commence pour les morts. Le catholicisme a traversé des épreuves bien autrement difficiles, il en est sorti victorieux, et, s’il y a aujourd’hui anarchie, indiscipline, violence même parmi ceux qui se réfugient dans ses consolations, dans ses espérances, c’est qu’au milieu de l’avénement tumultueux des idées nouvelles, après 93 et la restauration, les déceptions de la politique et les déceptions non moins amères de la science, sous l’empire de tant de souvenirs, de tant d’influences diverses, il était difficile de trouver sa voie, de la suivre en droite ligne, et de garder la mesure. On ne saurait méconnaître qu’en France comme dans le reste de l’Europe, au-dessus des révolutions politiques, il s’accomplit une révolution philosophique et religieuse qui est comme la cause des changemens qui s’opèrent ailleurs. À côté de l’esprit d’examen qui a atteint ses dernières limites, il y a aujourd’hui dans les ames le besoin profond d’une certitude religieuse, d’une autorité morale. À côté des bienfaits de la civilisation, il y a les misères qu’elle traîne à sa suite, et au milieu