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fier profondément. Mais, lorsque les hommes indépendans de la majorité se trouvèrent placés entre le silence de M. Thiers et les paroles de M. Dufaure, entre l’impossibilité de compter sur un concours indispensable et l’obligation de prendre pour drapeau la réforme électorale ; lorsque, parmi les ministres du 12 mai, les uns se furent déclarés impossibles et que les autres se furent rendus tels, il n’y eut plus qu’un parti à prendre, celui de sacrifier loyalement les questions de personnes aux questions de choses, et de rentrer dans les rangs du parti conservateur, dont on n’avait jamais entendu se séparer.

C’est dans cet état de choses que s’est ouverte la session actuelle. Depuis la crise des fonds secrets en 1843, le ministère du 29 octobre compte une année de plus, une année pacifique et prospère, dont on ne saurait sans injustice refuser de lui tenir compte. Ce qui était possible l’année dernière aux yeux d’un certain nombre de membres de la majorité avait cessé de l’être cette année, et, avant les complications inattendues de ces derniers jours, le moment semblait passé de poser au sein du parti conservateur de simples questions de personnes. Ceci explique pourquoi le premier discours de M. Thiers, si habile et si spirituel qu’il soit, a produit sur la chambre une impression beaucoup moins décisive que sa belle allocution sur les affaires étrangères ; ceci fait comprendre l’effet des paroles de M. le ministre de l’intérieur, et le rejet de la question de confiance posée sous un double aspect, mais dans un même but, par MM. G. de Beaumont et Billault.

Cependant, si au milieu du débat général de l’adresse il paraissait impossible d’admettre une scission au sein de la majorité pour un simple intérêt de portefeuille, il est des questions d’un ordre fort supérieur, où celle-ci s’est réservé une indépendance que chaque jour vient attester d’une manière éclatante. Ces questions-là sont les plus dangereuses pour l’existence du cabinet. C’est ce terrain que choisira l’opposition, dans le double intérêt de son avenir et de la dignité du gouvernement représentatif. Ces questions se résument dans trois idées très nettes et parfaitement comprises de tous, à savoir : la reprise officiellement annoncée de l’alliance anglaise, les négociations arrêtées pour la révocation des traités de 1831 et 1833 sur le droit de visite réciproque, enfin les conventions commerciales à passer directement avec la Grande-Bretagne, ou à consentir à son profit au-delà des Pyrénées.

On peut affirmer, sans crainte d’être démenti par l’évènement, que telle sera pour long-temps la base de tous les débats sérieux au sein de la chambre ; on peut aller plus loin, et prédire qu’une crise ministérielle ne s’ouvrira probablement que sur l’un ou l’autre de ces trois grands intérêts, quelque faible que soit le chiffre de la majorité ministérielle depuis le vote final de l’adresse, à moins que des fautes de conduite ne viennent tout à coup imprimer aux affaires un aspect nouveau et imprévu.

Le ministère était en mesure d’aborder la discussion des affaires étrangères avec quelques résultats favorables. L’Angleterre avait donné au gouvernement et à la dynastie de 1830 un témoignage de royale courtoisie dont