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inoffensive et modérée du parti légitimiste, sur celle qui, dans presque toutes les circonstances, prête au gouvernement de 1830 un concours loyal et sincère ? Légitimer l’association électorale de la droite et de la gauche, donner une apparence de justification aux folles théories de certains publicistes, amener enfin l’opposition constitutionnelle à couvrir de son vote et de sa protection le parti dont elle était jusqu’ici le plus énergique adversaire, c’est là une résolution qui déplace dans le pays et dans la chambre presque toutes les positions anciennes, et dont la portée ne peut être mesurée en un jour. De plus, voir une telle résolution passer après deux votes incertains, par l’effet seul de l’abstention des légitimistes, c’est en perdre tout le bénéfice moral pour n’en recueillir que les conséquences dangereuses. Et combien la responsabilité ne s’aggrave-elle pas encore lorsqu’on songe à la légèreté avec laquelle cette rédaction malheureuse a été accueillie, la faiblesse avec laquelle elle fut un instant abandonnée, à l’inexplicable entêtement avec lequel elle a plus tard été reprise et soutenue ! Ceci est un grief sérieux dont la commission de l’adresse porte sa lourde part avec le cabinet lui-même.

Une scission dans la majorité, que les provocations quotidiennes d’un dévouement plus fougueux qu’éclairé peuvent rendre plus profonde encore, tel est le résultat immédiat de ce déplorable épisode du grand débat de l’adresse. Cette scission a amené plusieurs boules noires dans l’urne ; elle a éloigné du vote définitif quelques hommes plus consciencieux ou plus timides, et une majorité ne s’est rencontrée pour répondre au discours de la couronne que grace aux amis restés fidèles à la bannière isolée de M. Dufaure. Le concours silencieux porté par celui-ci au ministère n’est peut-être pas de nature à rassurer beaucoup le cabinet.

Dans une telle situation, il n’est pas étonnant que la confiance publique soit quelque peu ébranlée, et que la possibilité de combinaisons nouvelles ait sérieusement préoccupé les esprits. Nous dirons sur ce point toute notre pensée. Le ministère est sans doute affaibli dans la chambre mais là n’est pas le péril, là n’est pas du moins le principe d’une chute immédiate. Il se peut qu’aux yeux d’un autre pouvoir le cabinet ait aussi perdu sa force morale et commence à devenir une difficulté. Si cela était, le danger serait plus imminent, et la crise ne serait plus suspendue que par la difficulté de pourvoir aux nécessités du lendemain.

Le cabinet va faire sans doute de grands efforts pour se rasseoir sur un terrain si soudainement ébranlé ; c’est son droit et son devoir. Il a dans son sein d’assez grands talens et d’assez hautes renommées pour entreprendre une pareille tâche, quelque difficile qu’elle puisse paraître. Le droit et le devoir de l’opposition modérée, aux mains de laquelle une éventualité plus ou moins prochaine peut faire passer les affaires, seront aussi de se préparer à ce grand changement par des alliances et des rapprochemens honorables, par des projets utiles et des vues hautement avouées devant la chambre et le pays. Il importe peu à la France que le portefeuille soit aux