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REVUE. — CHRONIQUE.

mains de tels ou tels hommes. Ce qui lui importe, c’est que le pouvoir soit respecté, que son action soit efficace, et qu’aucune des conditions du gouvernement représentatif ne soit méconnue. Ceci nous amène, malgré nous, à parler du fait qui depuis vingt-quatre heures occupe particulièrement l’attention publique. Un homme, que sa loyauté a fait estimer de tous les partis, se trouve, par suite d’un vote consciencieux, conduit à se démettre de ses fonctions diplomatiques. Des circonstances connues de tous aujourd’hui contraignent M. de Salvandy à protéger sa liberté morale par un sacrifice qui, dans une telle circonstance, lui aura peu coûté. On dit qu’en recevant cette triste nouvelle, la chambre a été profondément émue. Des interpellations, qu’il sera malheureusement difficile de contenir dans les bornes des convenances, seront, dit-on, adressées au cabinet par des membres de la gauche sur un fait où un grand nombre de fonctionnaires publics voient un précédent fort significatif pour eux-mêmes. L’honorable ambassadeur du roi à Turin n’est pas le seul agent du gouvernement qui, après de vaines instances près du ministère pour obtenir une modification au dernier paragraphe de l’adresse, ait ostensiblement voté contre ce qui lui paraissait moins une condamnation qu’une injure ; on assure même qu’après avoir ainsi satisfait à sa conscience, M. de Salvandy a publiquement déposé une boule blanche lors du vote sur l’ensemble de l’adresse. Une conduite aussi mesurée, qui n’est pas un moment sortie des limites de ce vote silencieux reconnu par tout le monde comme l’attribut inaliénable du fonctionnaire-député, n’était pas de nature à faire prévoir la pénible situation faite à l’un des vice-présidens de la chambre, et cet incident peut devenir une complication fort sérieuse. Nous nous abandonnons à ces réflexions avec d’autant plus de liberté, qu’à nos yeux la démission de l’honorable M. de Salvandy est tout-à-fait un cas de responsabilité ministérielle. Comment, en effet, ne pas penser que la royauté, d’ordinaire si équitable et si bienveillante envers les hommes dont elle ne saurait mettre en doute le dévouement, n’ait pas, dans ces circonstances, reçu des impressions fâcheuses, agi d’après certaines suggestions ? Nous croyons enfin que le cabinet lui-même n’a pas assez calculé la portée d’un acte qui a blessé si vivement l’indépendance parlementaire.

Résumons en quelques mots la situation que ces derniers jours ont préparée, et que l’évènement d’hier à plus nettement dessinée : au moment où la majorité avait accepté le cabinet, et ne faisait plus de réserves que sur quelques questions de politique étrangère, il se trouve qu’une conduite irréfléchie fait perdre au ministère le bénéfice de trois années de durée, et remet les personnes en discussion plutôt encore que les choses. Il y a huit jours, le cabinet pouvait redouter le contre-coup des débats du parlement britannique, entamées à Londres, en un mot des périls graves sans doute, mais éloignés par leur nature même : aujourd’hui il se trouve compromis par des faits d’un ordre secondaire, il est vrai, mais d’une portée immédiate, et des fautes bien faciles à éviter menacent de lui être plus funestes que les coups de ses plus redoutables ennemis.