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REVUE. — CHRONIQUE.

et se bonifient encore en avançant. Plus sa destinée continua depuis ce premier moment de s’établir et de se consolider, plus aussi son talent gagna en vigueur, en louable et libre emploi. Nommé il y a dix ans à l’Académie Française, il y trouva une carrière toute préparée et enfin régulière pour ses facultés sérieuses, pour ses études les plus chéries. Ce qu’il avait entrepris et déjà exécuté de travaux et d’articles pour le nouveau Dictionnaire historique de la langue française ne saurait être apprécié en ce moment que de ceux qui en ont entendu la lecture ; ce qui est bien certain, c’est qu’il gardait, jusque dans des sujets en apparence voués au technique et à une sorte de sécheresse, toute la grace et la fertilité de ses développemens ; il n’avait pas seulement la science de la philologie, il en avait surtout la muse.

Pour nous qui ne le jugions que par le dehors, il ne nous a jamais paru plus fécond d’idées, plus inépuisable d’aperçus, plus sûr de sa plume toujours si flexible et si légère, qu’en ces dernières années et dans les morceaux mêmes dont il enrichissait nos recueils, fiers à bon droit de son nom. Il avait acquis avec l’age assez d’autorité, ou, si ce mot est trop grave pour lui, assez de faveur universelle pour se permettre franchement l’attaque contre quelques-uns de nos travers, ou peut-être de nos progrès les plus vantés. Le docteur Néophobus ne s’y épargnait pas, et ceux même qui se trouvaient atteints en passant ne lui gardaient pas rancune. Le propre de Nodier, son vrai don était d’être inévitablement aimé. Il faut lui savoir gré pourtant, un gré sérieux, d’avoir, en plus d’une circonstance, opposé aux abus littéraires cette expression franche, cette contradiction indépendante qui, dans une nature de conciliation et d’indulgence comme la sienne, avait tout son prix.

Le dernier morceau qu’il ait donné à cette Revue, le dernier acte de présence de Nodier, ç’a été ses agréables stances à M. Alfred de Musset :

J’ai lu ta vive Odyssée
Cadencée,
J’ai lu tes sonnets aussi,
Dieu merci !…

On peut dire de cette jolie pièce mélodieuse, touchante, et dont le rhythme gracieux, mais exprès tombant et un peu affaibli, exprime à ravir un sourire déjà las, qu’elle a été le chant de cygne de Nodier :

Mais reviens à la vesprée
Peu parée,
Bercer encor ton ami
Endormi.

Nodier, depuis bien des années, et même sans qu’aucune maladie positive se déclarât, ressentait souvent des fatigues extrêmes qui le faisaient se mettre