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L’INDE ANGLAISE.

l’édifice qui s’écroule, et de prendre possession du pays pour nous-mêmes. » Dans ces lignes si sages, on voit la carrière pleine d’abus et de déplorables résultats que suit la compagnie ; les conséquences d’un pareil système sont franchement dévoilées dans les phrases suivantes, tracées par le même résident : « Du moment où nous établissons un gouvernement subsidiaire, nous nous trouvons sur une pente fatale où nous ne pouvons plus nous arrêter… Notre pouvoir tend naturellement à s’étendre ; notre intérêt est de retarder cette marche rapide. Nous n’avons rien à craindre du dehors ; c’est dans chaque accroissement de territoire que nous trouvons, que nous nous créons des dangers… L’empire que nous avons conquis suivra la loi commune de toutes les usurpations ; il ne peut rester stationnaire ; du jour que nous cesserons d’avancer, nous reculerons ; chaque pas vers le sommet nous rapproche de la pente opposée… Où sont aujourd’hui dans les domaines de la compagnie les hautes classes et les classes moyennes ? elles sont non-seulement détruites, mais complètement anéanties… Si notre passage n’est marqué que par des ruines, si nous ne savons rien élever, conserver doit être la devise de nos hommes d’état ; étayer, toujours étayer, voilà la meilleure marche à suivre. »

À côté de ces réflexions dictées par la plus saine politique, en fouillant dans les archives de la cour des directeurs, combien de documens on découvrirait que la justice et la raison désavoueraient, combien de trames sourdement préparées pour armer les uns contre les autres ces princes ineptes et jaloux que la compagnie couronne et dépose à son gré ! Abrutissement du prince, destruction des classes supérieures, occupation des emplois par des Européens au détriment des natifs, appauvrissement de la contrée : tels sont les résultats du système subsidiaire pour le pays occupé, d’après les propres paroles d’un résident. C’est ainsi que l’Angleterre civilise l’Inde !

Est-il un spectacle plus attristant que de voir une nation, en Europe si prude, si ardente à s’occuper du bonheur des peuples, à porter en tous lieux son pieux patronage, faire en Asie le plus hideux métier ? À ces petits sultans pressés de jouir d’une position précaire qui dépend du caprice de la compagnie, même de la volonté du gouverneur-général, l’Angleterre verse l’or à pleines mains ; elle les enivre d’encens et les couvre d’humiliations ; elle assiste à la décomposition de ces empires, à l’extinction de ces races qui s’étiolent dans l’ombre où elle les tient enfermées ! Ce n’est pas de ceux qui frappent avec le glaive, mais de ceux qui font mourir sous les guirlandes de fleurs, qu’il faut se défier. Est-il une ironie plus cruelle que de soutenir un trône, de