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ramener à la vie une dynastie expirante, parce qu’on n’est pas prêt à recueillir son héritage ? Voulez-vous savoir pourquoi la compagnie, si désintéressée, se plaint de temps en temps d’être obligée d’ajouter à son territoire un empire qui se donne à elle, comme le cerf, pour se sauver de la meute, se livrerait au chasseur ? M. de Warren nous l’apprendra : « C’est qu’effectivement le jour où la compagnie se reconnaît maîtresse d’une province est aussi le jour où elle cesse d’en dévorer la substance. Les vassaux couronnés sont les instrumens violens dont elle se sert pour épuiser tout le sang, toutes les richesses d’un pays ; ils sont aussi des mannequins politiques qui servent à tromper la haine des peuples. Un nouvel empire est-il converti en province anglaise, qui soldera ce contingent de troupes dont la dépense va retomber sur la compagnie ? Ce n’est pas la nouvelle province, elle est épuisée ; d’ailleurs on veut avoir l’honneur d’une administration plus libérale ; l’aman (tarif constant et déterminé de perceptions) remplace l’ijarah (mode arbitraire) ; une perception équitable succède aux odieuses avanies, il n’y a plus de dividendes à envoyer aux actionnaires de Leaden-Hall-Street, plus rien pour défrayer le luxe d’une armée et d’une magistrature sybarites. Il faut trouver un nouveau protégé pour lui attacher ces sangsues, et c’est ainsi que le cercle va s’étendant toujours. »

Assurément il ne faut pas confondre l’Angleterre avec la compagnie : Londres désapprouve souvent, au point de vue spéculatif toutefois, ce qu’a fait Calcutta ; mais, en y regardant de près, ne voit-on pas que ce système machiavélique, si largement développé au milieu des possessions de l’Inde, est la conséquence extrême et rationnelle de la politique anglaise au service d’un gouvernement absolu ? Le nombre des états protégés est considérable ; tous sont atteints à divers degrés de cette consomption qui les tuera successivement. Voici, d’après l’auteur de l’Inde anglaise en 1843, la liste de ceux qui subsistent encore et leurs bulletins comparés : « Les Sikhs indépendans et quelques états du Radjpoutana en sont encore aux premiers symtômes. Dans les états de Scindiah, de Sattarah, de Baroda, le mal a fait des progrès. À Hyderabad, à Indor, à Nagpour, à Aoude, à Joudhpour, à Jeypour, dans le Bundelcund, les peuples sont arrivés au dernier degré de misère. Le Mysore, Kutch, Travanore, Cochin, n’existent plus que de nom ; ce sont tout simplement des provinces anglaises, dont les radjas se contentent du rôle de collecteurs, et reçoivent sur le montant des revenus une plus forte solde que les collecteurs anglais ordinaires. »