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droits à la principauté comme fils aîné et seul fils légitime. Ses droits avaient été d’abord reconnus ; il avait même reçu l’investiture des mains du collecteur, et atteignait déjà les bords de l’Hundry, petite rivière qui séparait son royaume du territoire de la compagnie. Sur l’autre rive, il voyait déjà s’élever sa capitale, le palais de son père ; mais une sourde intrigue était suscitée contre lui par son frère naturel… Malheureusement aussi il avait révélé une intelligence et des talens qui le faisaient craindre ; on cherchait un prétexte pour revenir sur l’engagement contracté. Le hasard voulut que cette nuit même le nabab surprit l’infidélité d’une de ses femmes ; il était musulman, son sabre lui fit justice des coupables. Ce fut un crime tout trouvé… Sur la rive droite il était encore l’hôte des Anglais, et avait enfreint leurs lois. On le ramena prisonnier à la citadelle de Bellary, tandis que son frère montait sur le trône. »

Ce bâtard, créature des Anglais, remercia ses protecteurs en organisant une conspiration gigantesque qui fit grand bruit dans l’Inde en 1839 ; le hasard seul la fit découvrir, « et il fallut l’étouffer dans des flots de sang. » Mais revenons au prisonnier, qui se consumait depuis six ans déjà in carcere duro. La compagnie, sourde à ses plaintes, ne voulait pas même le juger. « Par un raffinement de cruauté, tout rapport direct avec sa mère et ses femmes lui fut interdit ; on ne lui laissait qu’une modique somme de cinq cents francs par mois qu’il recevait de sa mère. Doué d’une singulière intelligence, d’une instruction extraordinaire chez un natif, il éprouvait un besoin de société qui lui faisait rechercher même celle des officiers qui se relevaient, pour le garder, malgré la dureté et l’insolence qu’il rencontrait souvent ; il ne pouvait se passer de communiquer, d’échanger ses idées… On peut dire qu’il mendiait le contact, la conversation de ceux chez qui il devait espérer plus d’éducation. » Le pauvre nabab s’était pris d’une amitié extraordinaire pour le jeune officier français ; il ne le quittait pas durant les quarante-huit heures de service. « Quand, après une soirée consacrée à son jeu favori (le jeu d’échecs), je me jetais enfin sur mon lit de camp, il s’asseyait à mes pieds pour me regarder dormir et protéger mon sommeil contre les insectes. » Une circonstance se présenta bientôt qui fit sentir à M. de Warren les pesantes obligations de l’état qu’il avait embrassé. Laissons-le raconter lui-même : « Jamais le nabab n’avait pensé un instant à éprouver ma fidélité à mon drapeau ; mais un jour, espérant avoir détourné mon attention, il avait fait dire à une de ses femmes, la plus dévouée, la plus chérie, dont il était séparé depuis sept ans, de se présenter à la citadelle sous le dé-