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qu’aucun de ses devanciers ; mais ce n’était plus pour spéculer sur la dépréciation. Uniquement préoccupé de faire prévaloir sa monnaie de papier, il voulait destituer, pour ainsi dire, la pièce d’argent de sa valeur intrinsèque, en lui imprimant des variations convulsives. Ainsi en 1720, une pièce d’une livre émise par le gouvernement se composait un jour de la 61e partie d’un marc d’argent, quelques jours après de la 130e ; puis elle remontait jusqu’à la 14e partie, pour déchoir rapidement jusqu’à la 173e. Ces manœuvres audacieuses étaient de nature à laisser sur la mémoire de l’Écossais une sorte de flétrissure.

Ce fut peu de temps après que Melon, disciple de Law, émit sur la circulation du numéraire les principes que nous avons déjà eu occasion de condamner. Sans nier absolument que les espèces métalliques eussent cette valeur intrinsèque qui leur sert de garantie, il soutenait que les falsifications pouvaient, en certaines circonstances, tourner à l’avantage du pays, et qu’alors il entrait dans les devoirs de l’homme d’état de les pratiquer. À une époque d’inexpérience presque générale, son argumentation était spécieuse : elle avait séduit Voltaire lui-même. Le judicieux Dutot prit alors la plume pour établir qu’on ne doit pas plus toucher aux monnaies qu’aux autres mesures, et, depuis la publication de son livre, il ne s’est plus trouvé un administrateur assez inconsidéré pour spéculer sur la détérioration du numéraire. Il faut distinguer, dans les Réflexions sur les finances, la portion dans laquelle Dutot se propose de disculper Law, son protecteur, de celle où l’intelligent caissier expose les résultats de sa propre expérience. Dans son plaidoyer en faveur d’un maître qu’il admirait, Dutot a insinué des erreurs de doctrine et des allégations de faits qui ont été rudement réfutées par Paris-Duverney, l’ennemi personnel de Law. Dans sa thèse économique, au contraire, l’auteur fait preuve d’une remarquable sagacité. Il a l’art d’appuyer le raisonnement abstrait par des recherches d’érudition qui relèvent son livre en lui communiquant l’inépuisable intérêt des traités historiques. Veut-il prouver, par exemple, que l’altération des monnaies est aussi préjudiciable aux princes qu’aux sujets ? il constate minutieusement le total des revenus publics, la valeur relative de l’or et de l’argent, et le coût des denrées principales à diverses époques de notre histoire. Avec ces élémens de comparaison, et après une infinité de calculs, il arrive à conclure que les rois du XVIe siècle, quoique percevant en tributs des sommes nominalement inférieures à celles qui étaient perçues par leurs successeurs, se trouvaient en réalité plus riches ; qu’ainsi le budget de