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c’est de voir des talens jeunes et élevés qui se jettent dans ces antres de Trophonius, ou une illustre renommée qui s’y traîne péniblement. — Oui, eussiez-vous été un habile et émouvant conteur, créant sans efforts de délicieuses épopées de la vie intime, dès que vous aurez revêtu le costume du sectaire et que vous donnerez tête baissée dans le socialisme extravagant, vous ne produirez plus que d’interminables poèmes où chaque personnage sera, il est vrai, une personnification sociale, mais où le génie du romancier s’éclipsera le plus souvent, et où l’ennui débordera plus d’une fois, symboliquement peut-être.

S’il fallait s’arrêter aux contradictions, on ne saurait trop s’étonner que la poésie la plus ardente, au moins en apparence, au perfectionnement de l’humanité, soit précisément celle qui se passionne le plus pour la nature et la solitude. Je sais qu’il y a une certaine philosophie qui enseigne, comme le terme le plus élevé de la sociabilité humaine, la communion indéfinie de l’homme avec la nature ; cette philosophie donne le mot d’ordre sans doute, et voilà les poètes, si facilement inconséquens, qui se prennent à chanter la fraternité universelle, en fuyant les hommes. Le singulier contresens qu’un poète socialiste ou humanitaire, comme ils disent, s’enivrant de solitude comme d’opium, et ne descendant de la montagne que pour s’égarer dans les retraites profondes des bois ! Le contresens n’est pas si étrange pour qui sait comprendre. La nature, pour tous nos poètes symboliques, c’est encore l’humanité. Tout a une ame intelligente, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope, depuis le ruisseau de la prairie jusqu’au caillou du chemin. Comprenez-vous la profondeur du système, et en mesurez-vous toute la grandeur ? Auprès d’une telle mythologie, la mythologie païenne est bien peu de chose, vraiment. Les naïades, les faunes, les satyres, dans les fleuves, au fond des grottes, sur la lisière des bois, étaient des hôtes en trop petit nombre : la nature était encore inanimée et déserte. Tout vit, tout parle ; tout a une existence individuelle et une éloquence particulière. Les arbres de la forêt et les fleurs du jardin conversent entre eux et avec le poète. Prenez garde : tout cela est froid si vous le prolongez ; et touche au ridicule si vous l’érigez en système. Ma foi ! je crois que, sans se compromettre, on peut se moquer du poète anglais Darwin, qui, dans ses Amours des Plantes, représente le genêt se promenant tranquillement devant des bosquets de myrte.

Qu’obéissant à une fantaisie et sans songer à des conséquences, un poète fasse gracieusement dialoguer des fleurs, rien de plus innocent sans doute et de moins douloureux à contempler. Mais le rapport