Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/719

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
715
REVUE. — CHRONIQUE.

rapide compression du mouvement d’Alicante et de Carthagène un symptôme de force et un gage d’avenir. Débarrassée, par la mort soudaine d’une princesse trop célèbre, d’une difficulté de gouvernement des plus sérieuses, l’Espagne puiserait dans un éclatant triomphe sur l’anarchie une vie et une force nouvelles ; mais il se passe dans ce pays des choses tellement inattendues, et les hommes politiques y affectent des allures si singulières, que nous n’osons ni hasarder de conjectures, ni afficher de sympathies. Lorsqu’on peut être un ministère constitutionnel en chassant les chambres et en appliquant des lois par ordonnance, lorsqu’on peut s’appeler un ministère modéré en donnant des ordres dont le style a un reflet de celui de la convention, on est dans une position tellement exceptionnelle, qu’on ne saurait en conscience s’étonner de la réserve que gardent en de telles circonstances les modérés et les constitutionnels des autres pays de l’Europe. Il est évident qu’en Espagne les mots ont un sens tout particulier. C’est un dictionnaire politique dont nous ne sommes pas tentés de faire une étude fort approfondie. La reine Christine quitte Paris. Se rendra-t-elle à Madrid ? Des hommes bien informés en doutent. On parle d’une rencontre entre cette princesse et la reine sa fille dans une des villes du littoral de l’Espagne ; on ajoute que la question du mariage napolitain, objet de tous les vœux de la reine Marie-Christine, et dont la négociation rencontre à Madrid de sérieuses difficultés politiques, pourrait bien se trouver soudainement tranchée par un coup hardi d’autorité maternelle.

Il est difficile de dire quelle portée ont de pareils bruits ; il est malheureusement beaucoup plus difficile encore de pressentir les résultats de l’union d’Isabelle avec le comte de Trapani. Ce mariage n’enlèvera-t-il pas à tout le parti carliste, jusque dans ses nuances les plus modérées, la seule chance de transaction qu’il puisse rêver encore ? Ne rendra-t-il pas irréconciliables les partisans de l’infant don François de Paule, et ne constituera-t-il pas cette branche cadette de la maison royale dans un antagonisme permanent contre le trône occupé par un prince étranger ? En s’appuyant à la fois sur son époux et sur sa mère, Isabelle II ne perdra-t-elle pas promptement, aux yeux des peuples, le prestige de cette irresponsabilité qui a jusqu’ici protégé sa jeunesse et son innocence ? Quel contingent de valeur personnelle et de force morale apportera à la monarchie constitutionnelle des Espagnes le jeune frère du roi des Deux-Siciles ? Ce sont là des problèmes dont l’avenir peut seul donner la solution, et nous n’avons garde de les devancer par nos conjectures.

La France s’est tellement désintéressée de la question espagnole depuis plusieurs années, que celle-ci ne paraît pas en mesure d’exercer une influence importante sur les actes de notre gouvernement et sur la marche de nos assemblées délibérantes. Il n’en est pas de même des évènemens parlementaires de la Grande-Bretagne. Ce qui se passe à Westminster, ce qui s’y dit, et surtout ce qui s’y cache, peut devenir un thème dangereux dont nous soupçonnons fort M. Billault d’être très disposé à profiter. Quoi qu’il