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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/72

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extrême. Nous ne sommes plus aux jours où l’on se contentait de communications intermittentes. Le temps est passé où, par exemple, les galions d’Espagne pouvaient n’aller à Porto-Belo que de trois en trois ans, sans que personne réclamât. En cela comme en autre chose, les hommes veulent aujourd’hui être en permanence les rois de la création.

Comment faire cependant pour avoir une navigation du Nil à Suez toute l’année ? Il faudrait, vers le milieu du canal, un bassin plus spacieux que le lac Mœris et aux bords élevés, qui se remplirait pendant les crues, lorsque le fleuve serait à sa plus grande hauteur ; le canal amènerait lui-même les eaux nourricières du fleuve à ce réservoir, qui les lui restituerait peu à peu en les faisant durer autant que possible. Le réservoir devrait avoir une grande contenance, et ici ce ne serait possible qu’avec une grande superficie ; mais, à cause de la rapidité de l’évaporation dans ces chaudes contrées, sous l’influence des vents secs du désert, on perdrait une forte proportion de l’eau ainsi mise en réserve. Ce serait un ouvrage sur l’échelle de ce que faisaient jadis les rois d’Égypte. Pour la portion du canal attenante à la mer Rouge, on recourrait naturellement aux eaux de cette mer. Il y aurait lieu de voir si, pour le reste, on ne suppléerait pas partiellement à la ressource d’un réservoir par des machines qui puiseraient de l’eau dans le Nil et l’élèveraient à la hauteur nécessaire ; on a déjà recours à ce procédé sur plusieurs canaux. Avec la condition d’une navigation non interrompue pendant toute l’année, le canal du Nil à Suez devient, on le voit, fort difficile. Cependant qui pourrait dire que la civilisation moderne soit forcée de reculer devant des entreprises semblables à ce que, dans la limite de ses besoins, savait accomplir la civilisation antique ? Le progrès même dans l’art des constructions n’est-il donc qu’un vain mot ?

Une fois parvenu de Suez au Nil, on ne serait encore qu’a moitié chemin de la Méditerranée. Le fleuve, il est vrai, descend dans cette mer ; malheureusement dans les basses eaux il ne laisse plus passer que de petites barques, et ses deux bras principaux, celui de Rosette et celui de Damiette, communiquent avec la mer par des passes étroites et périlleuses où ne pourrait se hasarder aucun navire d’un tirant d’eau même médiocre[1]. Ce fut ce qui donna

  1. Le Boghaz (c’est ainsi qu’on nomme chacune de ces passes) de Damiette est le meilleur des deux ; mais on n’y trouve qu’une profondeur assez constante d’ailleurs de 2 1/3 mètres à 2 1/2 mètres quand le fleuve est bas, de 3 1/4 mètres pendant