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tune l’accusaient de personnalité, d’hypocrisie, lui reprochaient de faire servir à ses calculs intéressés l’affectation du patriotisme et de toutes les vertus, de ne reculer devant aucun moyen, pas même devant l’agitation la plus factieuse, pas même devant les outrages à la royauté, pour peu qu’elle y vît une chance d’atteindre l’objet de toutes ses préoccupations, de s’imposer à la couronne, et d’accaparer à son profit les places et les pensions, contre lesquelles elle déclamait si chaleureusement lorsqu’elle était hors du pouvoir. Ces accusations, fort exagérées sans doute, mais non pas dépourvues de toute vérité, restaient impuissantes, et les hommes même qui les avaient exprimées avec le plus d’amertume étaient tôt ou tard forcés de s’allier à des rivaux investis du seul titre qui, dans un gouvernement libre, donne un droit légitime à la direction des affaires, l’éloquence unie au caractère et à l’intelligence. Tant que Pitt et ses amis restèrent unis, rien ne put leur résister.

À l’époque dont je retrace en ce moment l’histoire, les cobhamites n’avaient pas encore atteint ce haut degré d’influence, mais déjà leur hostilité était pour le cabinet un danger des plus sérieux. Elle eut bientôt l’occasion de se manifester. Walpole, qui, en présidant secrètement à la formation de ce cabinet, s’était beaucoup plus préoccupé de ce qui le touchait personnellement que de la cause publique avait eu soin de faire imposer par le roi aux nouveaux ministres l’obligation de le protéger contre les poursuites juridiques auxquelles le parti victorieux pourrait vouloir le soumettre. L’engagement secret qu’ils avaient pris à cet effet était au moins soupçonné. Les contraindre à se dépopulariser en l’avouant, et pour cela diriger contre Walpole des accusations que les esprits encore irrités accueilleraient avec une extrême faveur, c’était pour l’opposition un moyen assuré de succès. Une proposition tendant à ordonner une enquête sur l’ensemble des actes de l’administration dont Walpole avait été le chef pendant vingt années fut soumise à la chambre des communes le 9 mars 1743. Pitt l’appuya énergiquement. Pour en démontrer les avantages, il prétendit que le ministre déchu avait conservé dans sa retraite apparente une influence qui le rendait encore l’ame du gouvernement, et qu’une condamnation trop bien méritée pourrait seule lui enlever, protestant d’ailleurs que cette seule considération, et non pas le désir de la vengeance portait à réclamer en principe une justice que rien n’empêcherait d’adoucir dans l’application. La motion fut rejetée par une majorité de deux voix ; mais, presque immédiatement reproduite avec un amendement qui restreignait aux dix der-