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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

pareils traitemens ; mais on conçoit qu’il dut leur tarder de secouer le joug et de voir finir une guerre qui rendait en quelque sorte nécessaire la prolongation de cette dictature.

La paix fut donc le cri de ralliement de la ligue qui se forma contre ce grand homme. La portion de la presse qui lui était hostile, et dont les attaques commençaient à devenir très violentes, en fit le texte habituel de sa polémique. Elle lui reprochait de manquer à ses anciens principes en soutenant à grands frais, au cœur de l’Allemagne, une lutte dont les dépenses excessives conduisaient directement à la ruine du trésor et du crédit public. Elle s’épuisait en déclamations contre l’ambition effrénée qui, dans des vues toutes personnelles, le rendait insatiable de guerres et de conquêtes. Il est vrai que Pitt, toujours impérieux et absolu, voulait, comme il s’en est vanté depuis, profiter de ses victoires, non pas seulement pour anéantir la puissance maritime et coloniale de la France, ce but était déjà atteint, mais pour lui ôter jusqu’à la possibilité de se relever jamais sous ce double rapport. Préoccupé de cette pensée, il se refusait à tout arrangement dans lequel il ne croyait pas voir un moyen de l’accomplir.

La France, épuisée, avait demandé à traiter. Des négociations préliminaires s’étaient ouvertes en même temps à Londres et à Paris. Le cabinet de Versailles offrait de rendre l’île de Minorque, de céder le Canada, le Sénégal ou l’île de Gorée, celle de Tabago, et d’évacuer les places qu’il occupait dans le Hanovre et dans la Hesse. Pitt exigeait plus encore : il voulait tout à la fois le Sénégal et Gorée, et une extension de territoire canadien du côté de la Louisiane ; il refusait certaines facilités absolument indispensables pour que les navigateurs français pussent continuer à se livrer à l’importante pêche de Terre-Neuve ; il éludait toute réponse formelle sur la restitution des établissemens de la France dans l’Inde ; il demandait qu’outre les places du Hanovre et de la Hesse, celles que les généraux de Louis XV avaient conquises dans les états prussiens au nom et pour le compte de l’Autriche fussent rendues à Frédéric ; enfin, il repoussait de la manière la plus péremptoire la réclamation faite pour la restitution des navires capturés avant la guerre. — Ces négociations durèrent trois mois. Les notes échangées entre Pitt et le plénipotentiaire français ont été publiées. Au ton impérieux, à la froide et inflexible opiniâtreté du ministre britannique, on le prendrait pour un de ces proconsuls de Rome républicaine dictant à un ennemi faible et vaincu ces conditions qu’il n’était pas permis de discuter. Les formes même de la politesse moderne, que Pitt adopte avec une sorte de contrainte et de gêne pour ré-