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du nouveau cabinet ; le duc de Newcastle, à qui son grand âge ne permettait plus des fonctions bien actives, devint lord du sceau privé ; le duc de Grafton et le général Conway secrétaires d’état, lord Northington chancelier.

Composé en majorité d’hommes justement honorés et dont on ne pouvait suspecter l’attachement aux libertés publiques, formé, sinon avec le concours, du moins, jusqu’à un certain point, avec l’assentiment de Pitt, ce ministère se présentait sous un aspect assez favorable, mais il manquait de force vitale. Ses membres étaient peu unis, aucun d’eux n’avait la supériorité nécessaire pour le faire marcher d’accord, et la mort du duc de Cumberland ne tarda pas à préparer la dissolution d’une combinaison dont il était presque le seul lien. J’ajouterai que, dans l’état de l’opinion, depuis long-temps habituée à considérer le retour de Pitt au pouvoir comme le seul moyen de tirer l’Angleterre de la fâcheuse situation où sa retraite l’avait peu à peu fait tomber, tout ministère dans lequel il n’entrait pas n’avait que bien peu de chances de durée. Pitt d’ailleurs, sans combattre une administration qui s’efforçait, par tous les moyens, de gagner ses bonnes graces, avait bien soin d’établir qu’il ne donnait pas une entière approbation à la politique du marquis de Rockingham et de ses collègues. Le jour même où le parlement se réunit, peu de mois après leur avénement, il prit la parole dans la discussion de l’adresse. Il s’exprima sur leur compte en termes de bienveillance et de haute estime ; mais il ne dissimula pas qu’il ne pouvait leur accorder une confiance absolue, parce qu’il croyait apercevoir encore dans leur marche des traces d’une influence occulte. « Je les prie de me pardonner, ajouta-t-il ; la confiance est un fruit de la jeunesse, et cet âge est depuis long-temps passé pour moi. » Il fut moins courtois pour le ministère précédent, dont il qualifia les actes avec une extrême dureté. Il stigmatisa la prétention de soumettre les colonies à l’impôt du timbre ou à tout autre impôt non voté par elles, comme une violation flagrante d’un droit inhérent à tout sujet anglais. Il posa en principe, que les colons n’étant pas représentés dans le parlement, le parlement n’était pas autorisé à les taxer, bien qu’il possédât à leur égard la plénitude de la souveraineté et du pouvoir législatif, y compris le droit de régler leur navigation et leur commerce. Loin de blâmer la résistance des Américains, il déclara audacieusement qu’il s’en réjouissait ; qu’il n’aurait pas vu sans douleur trois millions d’hommes assez complètement morts à tout sentiment de liberté pour subir volontairement l’esclavage. Il manifesta l’opinion que les forces de la Grande-