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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

d’entrer dans un concert de quelque portée avec un gouvernement qui, par l’effet des changemens continuels d’administration, ne présentait aucune garantie de stabilité et de persistance dans ses projets. L’agent britannique ayant répondu que cette mobilité était arrivée à son terme par l’avénement d’un ministre également cher au roi et à la nation, Frédéric répliqua que les renseignemens qui lui parvenaient présentaient les choses sous un tout autre aspect. « Je crains bien, ajouta-t-il, que mon ami ne se soit fait beaucoup de tort en acceptant la pairie. » La négociation n’alla pas plus loin.

La situation intérieure de l’Angleterre semblait peu faite, en réalité, pour inspirer confiance dans la force de son gouvernement. L’extrême cherté des grains, les bruits d’accaparement et de monopole que cet état de chose ne manque jamais de susciter, entretenaient dans le peuple une fermentation dangereuse. Il éclata sur plusieurs points des troubles graves. Pour apaiser les esprits plus encore peut-être que pour arrêter les progrès de la disette, le ministère se décida à prohiber l’exportation du blé. Cette mesure, prise en l’absence des chambres et par conséquent sans leur participation, dépassait incontestablement les limites régulières du pouvoir royal ; mais, justifiée par la force des circonstances, elle n’eût été pour le cabinet le principe d’aucun embarras sérieux, si, lors de la réunion du parlement, quelques-uns des ministres n’eussent eu l’idée malheureuse de la défendre au moyen d’argumens tout différens. Ils crurent devoir alléguer un prétendu droit discrétionnaire inhérent à la couronne, et qui aurait dispensé les dépositaires de son pouvoir de la nécessité d’obtenir un bill d’indemnité. Tel fut le terrain sur lequel se plaça lord Chatham parlant pour la première fois (novembre 1766) devant la chambre des lords. Il fut vigoureusement combattu par lord Temple et lord Lyttleton, par lord Mansfield, le savant jurisconsulte, le défenseur habituel et parfois exagéré de la prérogative royale. Les rôles étaient étrangement intervertis dans ce débat. La conduite de lord Chatham était singulière. On pouvait s’étonner de le voir si gratuitement, si inutilement, prendre la défense d’un principe qui, à d’autres époques, avait tant égaré et compromis la royauté, et qui, même dans son application la plus modérée, devait être au moins suspect aux amis des libertés publiques. Il en résulta que le bill d’indemnité voté par les chambres devint une sorte d’échec pour les ministres, qui prétendaient ne pas en avoir besoin. Ce ne fut ni le seul ni le plus grave qu’ils éprouvèrent. La chambre des communes, par un vote fort inattendu, et qui fut généralement considéré comme la preuve que le cabinet n’y avait pas la majorité, réduisit d’un quart l’impôt territorial (février 1767).