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de Londres, ayant vainement demandé que les restes de lord Chatham lui fussent remis pour être enterrés dans la cathédrale de Saint-Paul, lui fit élever aussi un superbe monument.

Telle fut la fin de ce grand homme d’état, éclatante, dramatique, comme son existence tout entière. L’immense popularité dont il avait presque constamment joui de son vivant lui a survécu, et s’est maintenue sans altération jusqu’à nos jours. Sa mémoire, chère à tous les partis, est restée environnée d’une sorte d’auréole nationale. Il est demeuré pour tous les Anglais le plus glorieux symbole de la puissance et de l’honneur britanniques, de l’amour de la liberté, de l’attachement profond et sincère aux vieilles institutions du pays. Ce n’est pas seulement à ses grandes actions et à son incomparable éloquence qu’il faut attribuer cette admiration enthousiaste. Il y avait, dans tout l’ensemble de son organisation, dans l’originalité hardie de son langage et de ses manières, dans la dignité libre et fière qui les distingua toujours, quelque chose de singulièrement propre à captiver les imaginations. Sa physionomie morale rappelait celle des grands hommes de l’antiquité, et, sans tomber comme d’autres personnages des temps modernes dans l’affectation et la bizarrerie, il avait su se soustraire, ou plutôt sa puissante nature l’avait soustrait de prime-abord à la débilitante influence des convenances arbitraires de notre civilisation raffinée et un peu factice. Le contact des coteries oligarchiques et le maniement des affaires les plus compliquées n’avaient altéré en rien l’énergique grandeur, la majestueuse simplicité de ses sentimens et de ses instincts.

Ce noble caractère n’était pourtant pas exempt de graves imperfections ; cette longue et glorieuse carrière ne fut pas, à beaucoup près, constamment irréprochable. Lord Chatham avait les défauts inséparables peut-être, jusqu’à un certain point, de ses rares facultés. Son patriotisme, violent et exclusif comme celui des peuples anciens, je pourrais dire comme celui des Anglais, le portait à méconnaître les lois de la modération et même de la justice dans les rapports avec les gouvernemens ennemis ou rivaux de l’Angleterre. L’âpre vivacité avec laquelle il servait la cause de son pays et de la liberté, il la portait, tout aussi indomptable, dans ses passions, dans ses ressentimens. La juste confiance qu’il avait en lui-même et qui faisait une partie de sa force le rendait impérieux, hautain, impatient de toute contradiction. Né pour le pouvoir et pour l’action, doué de tout ce qui est nécessaire pour commander efficacement aux hommes, le malaise qu’il éprouvait lorsque les circonstances contrariaient cette vocation naturelle lui inspirait une irritation qu’il ne pouvait maîtriser, il ne sut