jamais être juste envers ceux qui occupaient la place à laquelle il se croyait appelé, et trop souvent, pour les renverser, il prit à leur égard, à l’égard du roi lui-même, à qui il ne pardonnait pas de les soutenir, une attitude vraiment factieuse.
Sans doute, ce n’est pas là ce type de grandeur morale et de dévouement absolu à la patrie qu’on se plaît généralement à présenter comme le portrait de lord Chatham. Le mobile principal de conduite, c’était l’ambition ; mais cette ambition, fondée sur l’amour de la gloire, sur le désir de s’immortaliser en agrandissant son pays, sur la noble satisfaction qu’un homme de génie et de courage éprouve à réaliser les conceptions de son esprit, n’avait rien de commun avec le sentiment qui porte les ames médiocres à chercher de vulgaires jouissances dans l’exercice du pouvoir. Loin de se proposer comme un objet définitif le maniement matériel des affaires et la distribution des faveurs qui en dépendent, lord Chatham, en cherchant à s’emparer de l’administration, n’eut constamment qu’un but, celui de fonder un gouvernement libre et aristocratique au dedans, puissant et redouté au dehors. C’est vers ce but qu’il travailla constamment à conduire l’Angleterre, et, si elle y est arrivée, c’est surtout à lui qu’elle le doit, bien qu’à plusieurs reprises il eût vu s’écrouler l’édifice si laborieusement élevé par ses mains, bien qu’en mourant il ait pu croire que ses efforts avaient complètement échoué.
Il est facile, je l’ai déjà dit, de signaler, dans le cours de cette lutte poursuivie avec tant de persévérance, plus d’une inconséquence, plus d’une contradiction de détail ; c’est là le tribut payé par les passions et les faiblesses de l’humanité, et pour s’en étonner, il faudrait n’avoir étudié ni le cœur humain ni l’histoire ; mais de telles inconséquences se perdent dans l’unité de la pensée qui résume pour ainsi dire la vie des hommes véritablement grands, et dans laquelle s’idéalise leur souvenir. Lord Chatham a pu, dans des momens d’entraînement, soit déserter au pouvoir quelques-uns des principes secondaires qu’il avait proclamés dans l’opposition, soit, lorsqu’il y était rentré, chercher à embarrasser les ministres ses rivaux, en contrariant des mesures qu’il eût prises à leur place, ou que même il avait prises en effet dans des circonstances analogues. Il a pu porter successivement des jugemens divers sur les mêmes hommes, suivant qu’ils figuraient parmi ses amis politiques ou parmi ses adversaires. Si l’histoire doit lui reprocher ces faiblesses, il faut dire aussi que ces faiblesses disparaissent presque complètement aux yeux de la postérité, qui, s’attachant aux traits généraux de sa physionomie, ne veut voir en lui que le patriote inébran-